Chère Camille,
Pardonne ma liberté, même si l’on ne se connait pas, je vais me permettre de te tutoyer, parce que celle qui t’écrit aujourd’hui est, je pense, composée de l’adulte que je suis et de l’enfant et l’ado que j’étais.

On l’écrit partout. Experts, journalistes, anciennes victimes… ton livre La familia grande fait l’effet d’une bombe et nous sommes beaucoup à espérer que les déflagrations de cette explosion changeront significativement la société et la façon dont celle-ci perçoit l’inceste.
J’ai lu que tu avais aussi écrit ce livre pour qu’il soit aussi utile aux personnes qui sont, ont été, victimes d’inceste, d’emprise familiale… Je crois que cette utilité là sera impossible à quantifier, tellement elle est énorme !
Depuis que je suis sortie d’amnésie traumatique concernant l’inceste que j’ai subi par mon père, que je j’ai créé ce blog qui publie des témoignages d’anonymes, je dois bien le confier… Les lectures qui parlent d’inceste, de violence sexuelles sur mineur.e.s, ne sont pas des lectures vers lesquelles je me dirige spontanément car à chaque fois que je fais ce pas, l’écho de la lecture impacte mon intérieur « restauré », pas forcément dans le mauvais sens d’ailleurs, mais nécessite toujours plusieurs jours pour que je « revienne » à la « normale ».
Seulement, là… Avant même que ton livre sorte, on pouvait lire ici et là des extraits… et juste en découvrant ces quelques phrases, j’entendais un appel venu du plus profond de ma vie qui me disait : « lis le ce livre, car tu vas te reconnaître ».
Après avoir lu ton livre, j’ai écris sur les réseaux sociaux : « Lire ce livre est acte de résistance à la perversion et la manipulation. Au-delà de mentionner les viols subis par un enfant de 13 ans durant plusieurs années, il décrit un système, celui où l’on ne protège pas les enfants… car pour qu’un prédateur opère en toute impunité, le décor doit être planté, les faiblesses des uns et des autres utilisées, les névroses tricotées à ne plus pouvoir se démêler… les adultes tournés vers leurs souffrances, leur nombril, les enfants qui doivent prendre une posture d’adulte pour survivre… la violence de cette génération, soi-disant libérée, envers leurs enfants, par leur non-assistance à personne en danger… »
Camille, dans ton livre, je me suis reconnue, ou plutôt j’ai reconnu l’environnement, les comportements qui ont faits que cela avait été possible.
Bien évidemment, il ne s’agît de montrer du doigt des personnes précisément, il ne s’agît pas de culpabiliser à tout prix ces adultes qui n’ont pas « vu ». Lire ton livre m’a fait du bien car il y était écrit noir sur blanc ce que j’ai essayé de dire à ma « familia grande », où certains et certaines ne sont pas encore capables de reconnaître une sorte de « responsabilité » passive, où certaines et certains, dans le déni, vont jusqu’à réécrire l’histoire… Au cœur de ton livre, tout était écrit, là, juste sous mes yeux et m’envoyait un message de reconnaissance.
Comme j’avais eu la sensation, en découvrant le spectacle d’Andréa Bescond (devenu film) « Les chatouilles ou la danse de la colère », de recontacter mon enfant intérieure, en lisant le livre d’Adélaïde Bon La petite fille sur la banquise de retrouver une amie d’enfance, en lisant ton livre j’ai eu l’impression que je retrouvais une amie de ma période collège à qui j’aurais pu dire : « Ah ouais ? Chez toi aussi c’est comme ça ?! »
Merci Camille d’avoir eu ce besoin, ce courage, de poser tout ceci dans un si bel ouvrage. J’y ai reconnu dans tellement de passages des situations que je pourrais comparer à ma vie, que cette lecture, même si elle me remue encore plusieurs jours après, a l’effet de « valider » que je ne délire pas, que c’est normal qu’un tel comportement, qu’un tel environnement autour de l’enfant que j’étais, ait eu un impact sur ma vie… et tu décris si justement les choses que je n’ai rien besoin d’ajouter.
Imaginer que l’on viole un enfant est inconcevable, imaginer que c’est dans notre famille est impossible, réaliser que cela a lieu presque sous ses yeux et que l’on a pas réagi, confronte l’adulte de l’époque à une culpabilité tellement insupportable qu’il/elle préfère parfois suggérer qu’aujourd’hui c’est vous, la « victime », qui avait un problème, c’est vous qui êtes « violent » a juste exposer la réalité d’un déni bien organisé…
Merci Camille car tu as exposé ce déni qui s’enracine et puise sa force dans beaucoup de « familia grande », et même si l’enfant que j’étais éprouve encore, de temps en temps, un peu de tristesse et de colère à ne pas comprendre pourquoi personne n’est venue la sauver, l’adulte que je suis aujourd’hui, le parent que je suis devenue pour moi-même, en lisant tes mots, a eu confirmation qu’elle était dans la vérité, la vraie.
Je dois te dire merci aussi pour autre chose, et j’espère que cette anecdote te fera réaliser à quel point l’onde choc positive que provoque la sortie de ton livre est immense et impacte tellement de vies…
– En 2018, avec plusieurs personnes, ayant déclenché une amnésie traumatique après un viol subi dans l’enfance, j’ai signé une tribune dans Le Monde en faveur de l’imprescriptibilité concernant les crimes sexuels sur mineur.e.s.

– Le mardi 5 janvier 2021, il est inévitable de rater l’info concernant la sortie de ton livre et l’on voyait la tête de ton beau-père partout. Le soir, un peu énervée je poste sur Facebook une photo de toi, celle d’un article parue dans Elle, avec le texte suivant : « Ce qui me saoule à chaque fois que l’on dénonce un violeur d’enfants, c’est que l’on voit sa tête dans tous les articles qui relate la nouvelle… On se prend du regard de pervers non stop sur nos fils d’actualité et moi, perso, les pervers, j’ai eu ma dose !
Je rêve d’un monde qui montrera le visage des héroïnes et des héros qui libèrent la parole, de celles et de ceux qui osent dire la vérité ! Voici le visage d’une sœur qui a parlé pour raconter ce que son frère a vécu, voici le visage d’une héroïne qui a eu le courage de dire. »

– Le mercredi 6 janvier au matin, une journaliste m’a contactée parce que j’avais signé la tribune et qu’elle cherchait une victime pas « connue » pour illustrer le sujet sur l’inceste et la prescription qu’ils préparaient pour le journal du soir.
Parce que j’espérais parler du blog La Génération qui parle, que j’ai créé il y a 4 ans, j’ai dit ok pour l’interview. On a échangé 40 minutes, ils en ont gardé 3 minutes, peut-être moins…
3 minutes durant lesquelles je dis : « J’ai été violée par mon père de l’âge de 4 à 12 ans, à peu près… ». Un instant, mon visage est à l’écran, sous mon nom, il est inscrit “victime d’inceste”…
Moi qui suis sortie d’amnésie traumatique alors que les faits étaient prescrits, ce soir-là, alors qu’il n’a jamais été validé par une instance de la République que je disais la vérité, du fait de la prescription… Ce soir-là, j’ai entendu rire en moi la petite Anne qui a mis 42 ans avant d’oser dire… ce soir-là nous l’avons dit ensemble, elle et moi, devant la caméra, et nous avons été entendues, la parole a été libérée, diffusée dans l’édition nationale du JT de France 3 !
Ce soir-là, j’ai ressenti profondément que mon enfant intérieure et moi, on a fait un pas important qui aura des conséquences positives dans ma vie… car si la loi ne m’a pas donné le droit de porter mon histoire devant la justice, ce soir-là, la vie m’a offert d’en partager 2 minutes avec des milliers de personnes.
– Et comme si cela ne suffisait pas, une semaine après tout pile, c’est l’émission « L’info du vrai » sur Canal Plus qui rediffuse ces 2 minutes 30 où je mentionne le fait d’avoir subi l’inceste et déclenché une amnésie traumatique.
Alors… Merci Camille d’avoir dit ! Par ricochet, la parole m’a été offerte grâce à la sortie de ton livre.
Nous sommes interdépendant.e.s, nous ne sommes pas seul.e.s !
Ensemble, on va y arriver !
Merci, merci, merci !
Bonjour ,
Je vais acheter ce livre rien que pour encourager la libération de la parole, je rêve d’un « Mee too » pour la parole des enfants victimes de ces crimes.
Camille Kouchner ce que vous faites c’est bien, et pour reprendre vos mots « emmurer cet homme dans votre livre » c’est encore mieux.
Vos 30 ans de silence vont laisser place au son silence auquel vous le condamnez lui à tout jamais !
je vous félicite chère Camille !
Bravo, vous avez tout mon soutien
Corinne
M’autorisez vous à partager votre lettre ouverte à Camille Kouchner ?
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Merci Anne Lucie pour tes mots, ta parole, ton énergie, parce que le collectif peut aussi libérer la parole, semer ses graines. Merci encore.
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Merci Vero ! A toi aussi merci ! Il y a tant de paroles à libérer 😉
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Bonjour Anne-Lucie,
m’autorisez vous à partager votre lettre ouverte ?
Merci beaucoup
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Bien sur il est possible de partager l’url de l’article sans problème 😉
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Merci beaucoup Anne-Lucie , et bravo pour votre blog et votre combat !
Je ne suis pas une victime, mais je me sens concernée, c’est un problème de société très grave, un fléau qui me bouleverse, je ne le supporte pas , je me sens concernée. Je pense que plus la parole se libèrera plus cette horreur reculera.
Bien fort
Corinne
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Merci Anne Lucie pour cette lettre formidable, et je comprends totalement ton sentiment de libération à la reconnaissance médiatique du crime commis par ton père sur l’enfant que tu étais, mais aussi la femme que tu es devenue.
Mille merci également à Camille Kouchner, oui il aura fallu son livre pour faire sauter un verrou que les précédentes révélations de viols de mineurs n’avaient pas réussi à briser.
J’ai moi même signé une pétition contre la prescription de ces crimes il y a bien longtemps maintenant, peut-être 15 ou 20 ans, sur internet. Je n’avais pas eu connaissance de celle du Monde sinon bien entendu je l’aurais signée. Depuis, j’ai entendu bien des arguments contre, notamment des femmes. Comment l’expliquer ?! Les hommes évitaient d’avoir une opinion tranchée.
Jusqu’aux derniers scandales d’abus sexuels sur mineurs dans les milieux culturels, où j’ai senti que l’opinion des jeunes ne s’accordaient plus à celle des générations précédentes, et puis cette affaire d’inceste, où je vois qu’elle pourrait bien être la clé du déverrouillage du déni et de la tolérance sociétale.
Aujourd’hui j’ai lu deux articles qui m’ont fait du bien :
1) en réponse au philosophe qui ne supporte pas d’avoir été viré par l’un de ses employeurs après ses propos complètement irresponsables sur l’adolescence et le consentement, un philosophe définit les mots adolescence et consentement dans le Huffington post (titre : Adolescence et consentement : Alain Finkielkraut trahit son rôle d’intellectuel dans sa défense d’Olivier Duhamel), où j’ai aimé jusqu’à l’interrogation finale qui fait écho à une question que je me pose souvent sur ceux qui défendent bec et ongles leurs copains criminels, chacun comprendra en lisant l’article…
2) et un autre toujours dans le Huffington : titre : Incestes, viols, abus, pourquoi les organisations se taisent. Qu’il n’est pas inutile de lire et faire lire à son entourage. Histoire que chacun se situe dans cette question essentielle et ses réponses.
Merci encore pour ton blog.
Et bravo.
L.
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http://paquerite.com/2021/01/lettre-ouverte-a-camille-kouchner/
Votre lettre est en ligne sur le blog Paquerite
Belle journée à vous et bravo pour tout ce que vous faites !!
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Merci 🙂
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C’est normal Anne-Lucie, je ne suis pas concernée par ce fléau, mais j’estime que nous sommes tous concernés par ce fléau, j’espère que je suis claire en disant cela.
L’inceste est une ignominie, et il ne faut pas hésiter à désigner les coupables. Il n’y a qu’en nommant les choses, en les désignant qu’on peut les tenir un peu à distance de nous et avancer pour ne pas passer totalement et injustement à côté de sa propre vie. Les bourreaux n’ont pas le droit de détruire l’entièreté d’une vie, une vie c’est long et on a le droit de la passer dans d’à peu près bonnes conditions, c’est ce que vous faites en offrant aux victimes un lieu où la parole se libère, où les mots sont posés, où le trauma se dénoue à mesure que la parole s’exprime !
Je vais acheter ce livre cet après-midi pour encourager Camille Kouchner dans la voie qui sera peut-être la sienne, aider les victimes, apporter un nouvel ordre et un nouveau sens à donner aux moyens d’agir.
je vous embrasse fort ❤️
Ce que vous faites c’est très bien, et votre lettre plaît beaucoup, je n’ai que de très bons retours🙏🏼
Corinne
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