Monsieur Taquet,

Cela fait plusieurs jours qu’elle s’écrit en moi cette petite lettre que je vous adresse aujourd’hui, je fais confiance à la vie pour qu’elle vous parvienne.

Tout d’abord je vous souhaite une très bonne année ! Une année 2021 dont l’histoire retiendra que : cette année là, les choses ont changé en matière de protection de l’Enfance !

Le premier point sur lequel j’aimerais échanger avec vous concerne « La Commission sur l’inceste et les violences sexuelles subies pendant l’enfance ».
Même si je fais partie de celles et ceux qui se demandent un peu pourquoi on met en place une commission qui va rassembler des infos que des dizaines d’associations rassemblent déjà depuis des années… je me suis dit que c’était bien qu’elle existe avec un intitulé aussi explicite.
J’ai été surprise quand vous avez nommé Madame Guigou à sa tête, et cela n’a rien à voir avec la sortie du livre de Camille Kouchner… je me suis juste demandée pourquoi c’était encore une personne de la « classe politique d’avant » qui avait été choisie…
S’il vous plait, Monsieur le Secrétaire d’Etat, vous qui allez désigner une autre personne pour présider cette commission… Pouvez-vous envisager une personne qui soit en résonance avec cette génération qui brise le mur du silence concernant les violences sexuelles infligées aux enfants ?
Pouvez-vous envisager aussi que cette commission soit présidée par un binôme dans lequel on trouvera une personne qui a elle-même été victime de violences sexuelles durant l’enfance ?… Il est temps que nous entrions dans un monde qui considère que le vécu des anciennes victimes d’inceste, de crimes et violences sexuelles, a valeur d’expertise !
Il semble qu’il ne soit plus à prouver que même si les histoires d’agressions divergent, les ressentis et les symptômes post-traumatiques se ressemblent terriblement…
Savez-vous que parfois sans mot dire, deux personnes ayant été violées dans l’enfance sont capables de se reconnaître même si elles se rencontrent pour la première fois ?… Comme si la violence subie s’était inscrite dans leur ADN…
La nomination d’une personne ayant été victime d’inceste en co-présidence de cette commission, comme Flavie Flament a co-présidé celle sur les délais de prescription des crimes sexuels sur mineurs, parce qu’elle était sortie d’amnésie traumatique après les délais de prescription en vigueur à l’époque, enverrait un message fort aux victimes, et, vous êtes celui qui peut envoyer ce message.

Le deuxième point sur lequel je voulais vous interpeller, c’est celui de la nécessité de faire bouger la loi pour mieux protéger les enfants, et soutenir les personnes ayant été victimes, à pouvoir porter leur histoire devant les tribunaux… Imprescriptilité, reconnaissance de l’amnésie traumatique, etc… il y aurait beaucoup à dire, n’est-ce pas ?
Aujourd’hui, c’est sur le seuil d’âge du consentement sexuel des mineurs que je décide d’attirer votre attention avec cette lettre…
Le Haut Conseil à l’égalité suggère un seuil d’âge fixé à 13 ans et j’ai lu, ici et là, que vous seriez d’accord avec cette proposition. C’est possible que cela soit la vérité ? Vraiment ? C’est possible que la personne en charge de la protection de l’enfance et des familles soit consciemment et ouvertement d’accord avec l’idée qui dit qu’entre 13 et 15 ans un enfant soit potentiellement considéré comme consentant d’avoir un rapport sexuel avec un adulte ? Même LCI vient de se séparer de Mr Finkielkraut qui depuis des années clame que « 14 ans » et « Adolescent.e » : « C’est pas pareil ! »… Alors je me dis que ce n’est pas possible que votre fonction, quelles que soient vos convictions personnelles, puisse valider qu’il soit normal qu’à 13 et 14 ans on soit reconnu.e consentant.e d’avoir une relation sexuelle avec un ou une adulte … et c’est là que j’ai commencé à avoir besoin de vous écrire.

Comme le veut notre époque, j’ai tapé votre nom sur Wikipédia et là j’ai découvert votre âge et le fait que vous ayez 2 enfants. C’est là que j’en ai déduit, certes sans aucune vérification, que peut-être vos enfants ne devaient pas être loin de cet âge de « 13 ans »… et puis peu importe en fait, car même s’ils sont plus ou moins âgés aujourd’hui, il n’est pas difficile de se souvenir de comment c’était quand ils avaient 13/14 ans ou de comment ce sera quand ils les auront… et il est bien possible aussi d’avoir une opinion sur le sujet même si on n’a pas d’enfants, ne serait-ce qu’en se souvenant comment c’était quand on avait 13/14 ans… pas vrai ?

Je partage avec vous cette réflexion parce que j’ai un fils de 17 ans et j’ai fait l’exercice de me souvenir de lui entre 13 et 15 ans et de l’imaginer consentir à un rapport sexuel avec une ou un adulte de plus de 18 ans… ben… en fait, cela n’est pas possible ! Mon cerveau n’a pas cette fonction disponible ! Il a cette fonction votre cerveau ? Vous arrivez à visualiser vos enfants à 13/14 ans avoir une activité sexuelle avec une « grande » personne ? Oui ?

Je n’arrive pas à l’imaginer pour mon fils parce que j’ai activé la fonction « protection de mon enfant quoiqu’il arrive » ! Et que même s’il était venu m’annoncer sa décision de vivre une relation, à 13 ou 14 ans, avec une personne majeure, je lui aurais dit NON, qu’il faudrait qu’il attende un peu, et s’il ne m’avait pas écouté, j’aurais porté plainte contre l’adulte qui aurait osé ne pas attendre que mon enfant soit légalement prêt pour vivre cette histoire ! Parce que ma fonction de parent est de le protéger à tout prix !

Je partage avec vous, une inquiétude : Comment ça se passe quand les enfants évoluent au sein de familles qui ne les « protègent » pas ? Qui, pour plein de raisons, quel que soit le milieu social, ne voient pas où est le problème à ne pas protéger leurs enfants, émotionnellement, psychiquement et physiquement, de ce que des relations sexuelles avec un ou une adulte va déclencher dans leur vie, à jamais, même si ces enfants ont l’impression être d’accord sur le moment ? Qui va les protéger si la loi ne les protège pas ? Qui va les protéger si la personne en charge de la protection de l’enfance et des familles pense que 13 ans c’est cool pour coucher avec un adulte ?
Et je ne parle même pas ici du seuil d’âge de consentement en cas d’inceste… parce que là… 13, 15, 18 ans… quelque soit l’âge annoncé, je l’avoue, je beugue…

J’ai l’espoir en vous écrivant que ce j’ai lu, sur les réseaux sociaux concernant votre assentiment au sujet de la proposition du Conseil de l’égalité sur un seuil d’âge du consentement sexuel à 13 ans, n’est pas la vérité !

Je ne suis « personne », ce qui me permet de me sentir légitime pour vous écrire, c’est que j’ai été victime d’inceste, que je n’ai pas pu me confronter à mon père-agresseur dans un tribunal car je suis sortie d’amnésie traumatique trop « tard », que j’ai créé ce blog depuis lequel je vous écris et qui vient de fêter ses 4 ans, que j’ai initié la création de Uman Arts Company, une association qui soutient les vies traumatisées, dans leur résilience, vers le chemin de la « réparation » en utilisant la pratique des disciplines artistiques.

Ce blog, La Génération qui Parle comptabilisera bientôt 200 000 vues… et rassemble environ 250 témoignages d’anonymes qui ont osé dire leur histoire d’agression sexuelle, malgré le tabou sociétal en vigueur, et, les impôts viennent d’accorder le régime fiscal du mécenat à Uman Arts Company pour soutenir notre action.

Mon investissement en faveur de la protection de l’enfance sur le sujet des violences sexuelles, en plus de mon activité professionnelle, est une petite goutte d’eau dans l’océan des violences sexuelles infligées aux enfants car il existe des millions de victimes de ce fléau. Mais il y a plein de petites gouttes d’eau partout sur le territoire, en métropole et en outre-mer. Des centaines de personnes œuvrent pour que les choses changent, à plein de niveaux différents, avec de multiples actions et, pour beaucoup, nous nous sommes engagé.e.s aux côtés de Make.org pour la Grande Cause “Comment protéger les enfants contre toutes les formes de violences?”, que vous avez lancée en personne en novembre dernier.
Nous sommes déjà là, Monsieur Taquet, actives, actifs et informé.e.s… s’il vous plaît, faîtes avec nous toutes et tous !
Déjà médiatisé.e.s, ou anonymes, nous partageons un seul but : que les enfants soient protégés de toutes les formes de violences ! Faisons ensemble !

Merci de m’avoir lue.

Cordialement,

Anne Lucie Viscardi