Si vous suivez l’actualité culturelle, vous savez que les cinémas sont ouverts à nouveau depuis le 19 mai, et vous avez sans doute vu un article, entendu une interview à la télévision ou à la radio de Charlène Favier, réalisatrice de Slalom, qui signe ce premier film qui cartonne dans les salles !

Slalom est film puissant qui nous conte comment une jeune adolescente se retrouve sous l’emprise d’un adulte. L’intrigue se déroule dans le milieu sportif mais sa justesse d’interprétation, par les formidables comédien.ne.s, la rend universelle.

La Génération qui parle a l’immense joie d’être partenaire de la sortie de ce film, et cela m’a donné la belle occasion de pouvoir échanger avec Charlène Favier en novembre dernier. Le film étant enfin dans les salles, après deux sorties reportées, je partage enfin ici quelques moments de notre conversation ! Et j’espère que cela vous donnera envie de courir au cinéma près de chez vous prendre une place pour voir Slalom !

« Ce que j’ai essayé de faire, c’est de faire rentrer le spectateur dans la peau de Lyz. Qu’on le veuille ou non, on va tout vivre avec elle et on va ressentir la peur, l’angoisse, l’attirance… Ce n’est pas du tout un film qui analyse les situations. C’est seulement après le film que l’on peut se poser et essayer de comprendre ce qu’il s’est passé et ce que l’on a ressenti. C’est un film qui nous plonge dans les sensations de ce qu’elle va vivre »

Une des forces du film Slalom, c’est qu’il nous montre comment cette relation d’emprise va jusqu’à faire que la victime devienne empathique envers son agresseur… de peur d’être abandonnée. Et comme le dit justement Charlène, elle nous emmène dans le ressenti de Lyz au cœur de cette relation. Pas ce biais, elle offre aux spectateurs la possibilité de comprendre pourquoi. Pourquoi les victimes ne dénoncent pas, pourquoi elles ne disent pas « NON » de façon explicite, pourquoi il est difficile de s’extraire d’un tel mécanisme d’emprise…

J’ai tellement été touchée par Slalom qu’au moment d’interviewer Charlène, j’avais du mal à exprimer avec des mots à quel point j’avais trouvé son film juste. L’une des missions de ce film est de nous montrer comment ce genre de situations se met en place, souvent sous le regard d’un entourage qui ne voit rien.

Comment est-ce qu’on en vient à décider de faire un film sur le sujet des violences sexuelles subies par une jeune adolescente, surtout quand notre histoire personnelle résonne avec ce sujet ?

« Je suis rentrée à l’atelier scénario de la Fémis en 2014 et ma mission c’était d’écrire un premier scénario de long métrage. Etant autodidacte, je mesurais ma chance d’avoir été sélectionnée pour cette formation. C’était le moment ! Je n’avais pas du tout ce sujet en tête, ce n’était pas du tout un sujet que je portais depuis des années.
Je ne suis pas du tout une intello et les choses que je fais, ça part souvent d’un truc très instinctif… J’étais dans une période de changement dans ma vie. Je me suis mise à écrire cette histoire sans comprendre ce que j’étais en train de faire, mais en étant certaine que c’était quelque chose d’important pour moi et que ça allait le devenir pour d’autres. J’ai mis environ 1 an et demi avant de comprendre vraiment ce que j’étais en train d’écrire.
Dans tous mes courts métrages, avant cette formation, c’était toujours le même personnage :  Lyz. Une jeune femme entre 17 et 25 ans qui allait vivre des choses terribles, qui avait des problèmes relationnels, qui se sentait à part, qui essayait de trouver sa place et qui finalement arrivait à se relever et sortait grandie des événements. Cette femme, c’était en fait un moi, déclinée sous plusieurs versions. Durant cette formation d’écriture, c’est un peu comme si j’avais suivi ce personnage nourri de mes souvenirs personnels et que j’avais pu ainsi comprendre d’où venait le « problème » inhérent à ma vie. Et en trouvant le problème, j’ai trouvé le sujet du film ! »

Cette agression que vous avez subie adolescente, dans le cadre de votre entrainement sportif, c’est quelque chose dont vous vous souveniez, quelque chose dont vous n’avez pas compris l’impact dans votre vie ?

«  C’est quelque chose dont je me souvenais, surtout que des relations compliquées de ce genre, je n’en ai pas eu qu’une, parce que c’est quelque chose qui se reproduisait malheureusement… Je me suis toujours dit que c’est parce que j’étais quelqu’un de spécial que j’avais cette sorte de tourment intérieur. Je m’en souvenais et je me disais « Je ne suis pas une victime ! ». Des années après, même quand je voyais ma thérapeute je lui disais : Mais moi, tout va bien ! Bon, je ne peux pas rester chez moi toute seule, j’ai mis des verrous à toutes les portes, j’ai des grosses angoisses, je ne peux pas conduire seule,  mais en fait tout va bien, je fais plein de trucs, j’ai plein de passions… Là elle m’a regardé et m’a dit « Ah ouais d’accord ! » (Rires)
Lors de mon travail avec la thérapeute, j’ai compris qu’il faut avoir compris qu’on a été victime de quelque chose pour arrêter d’être victime dans la vie. Et ça a été une révélation ! Je l’ai compris en écrivant ce film. J’avais beau dire que je n’étais pas une victime, j’avais une attitude d’autodestruction qui envoyait clairement les messages « Ça va pas ! Je ne vais pas bien ! ». C’était comme dire que j’étais victime sans le nommer… Comme on nomme la chose, on arrête d’être victime et alors on peut dire stop.

Après l’atelier de La Fémis, j’avais dans mon scenario ce sujet d’emprise entre un entraîneur et une jeune fille. Et l’accompagnement de mon producteur, durant les  2/3 ans qui ont suivi, m’a fait accoucher du film. Un jour il m‘a dit « Charlène, c’est important, il va falloir que tu mettes dans ta note d’intention pour présenter ton film : ‘J’ai moi-même subi des agressions sexuelles’ et ça … c’était juste écrire une phrase dans un dossier… et j’ai mis des mois avant d’arriver à écrire cette phrase.
En 2017, j’ai bien conscience du sujet de mon film et du lien que cela a avec mon histoire personnelle, même si Slalom n’est pas mon histoire. Là je décide de me « renseigner » sur le sujet… l’inconscient étant devenu conscient, en lisant des témoignages, des études publiés sur le sujet s’ajoute à mon envie celle de dénoncer et de contribuer à la libération de la parole.

Au fond de moi, j’ai toujours eu envie de faire du cinéma pour être utile. Comme je considérais que je n’avais pas trop le « droit », le fait que mon film contribue à briser l’omerta sur le sujet des violences sexuelles sur mineur.e.s m’a donné ma force de pouvoir mener ce projet jusqu’au bout. Faire un film qui soit utile aux autres m’a permis de m’autoriser à réaliser ce premier long métrage. »

Les scènes que vous proposez dans votre film, elles sont très fortes ! Ça a été facile de convaincre Jérémie Rénier pour le rôle de l’entraîneur ?

« Au départ, je crois que cela a été plus difficile de convaincre son agent, que de convaincre Jérémie, car il a mis 6 mois avant de lui faire suivre le scénario parce que je n’étais pas connue, que nous n’avions pas de financement pour le film… 6 mois c’est très long et j’ai cru pendant longtemps que Jérémie ne voulait pas faire le film. Et lorsque nous avons eu l’avance sur recettes du CNC, son agent a fait suivre le scénario à Jérémie. Il m’a appelée immédiatement pour me dire qu’il voulait faire le film.
Ce qui intéressait Jérémie c’est la dualité du personnage de Fred, l’emprise qu’il va avoir sur son élève, le fait qu’il devienne agresseur mais qu’il ne soit pas un serial abuseur, un malade mental.
La rencontre avec Jérémie a été forte car on se ressemble énormément, on a presque la même date de naissance.  Il a tout de suite compris ce que je voulais faire, il était fasciné par les mêmes choses que moi. On a eu plein de conversations, beaucoup d’échanges pour que Jérémie sache ce que j’avais dans le ventre par rapport à ce personnage.
Jérémie est une personne d’une finesse, d’une intelligence, d’une gentillesse et d’une exigence rare.
Sur le tournage, Jérémie, Noée Abita et moi, on était un peu comme 3 frères et sœurs, comme une fratrie d’amour. La façon dont il nous a accompagnés sur ce film : c’était génial. Même si les scènes de sexe étaient très cadrées, pour se dérouler très vite, pour justement ne pas mettre les comédiens mal à l’aise, avec Noée, il a été d’une douceur professionnelle bienveillante exemplaire.


Inconsciemment j’avais envie que mon film parle aussi aux entraineurs qui peuvent se retrouver dans une situation identique pour la première fois. C’est à dire que ce n’est pas des serials abuseurs, c’est pas des pédophiles, mais un jour parce qu’il y a trop de proximité, trop d’intimité, parce qu’ils sont grisés par les victoires, parce qu’eux-mêmes sont dans un système qui les met sous pression… ils vont déraper. Je trouvais que c’était important aussi de leur adresser un message qui leur dise « Attention, ça peut vous arrivez aussi à vous. » Parce que ça peut arriver à n’importe qui en fait.
Ce que je voulais dénoncer aussi, c’est un système. C’est le système du sport de haut niveau où il n’y a pas assez de règles, pas assez de vigilance, où on laisse faire des choses qui ne devraient jamais arriver. Les gamins ne devraient pas partir tous seuls avec les entraineurs en voiture,  les entraineurs ne devrait pas débarquer dans les vestiaires à n’importe quel moment, quand les enfants sont encore à moitié nus, sous prétexte que « c’est pas grave, c’est le sport ». C’est cela que je voulais dénoncer, et donc il fallait que ce personnage, il soit « emporté » par le système. Ça, c’était important pour moi 
Et, ce qui a été très émouvant lors des avant-premières qui ont eu lieu fin 2020, c’est que de nombreux entraineurs sont venus me voir très émus après la projection du film pour me dire qu’ils ne se rendaient pas compte à quel point ces « non-règles » néfastes pouvaient impacter les « gamines » parce que ce genre de situations arrivent souvent. Ils ont partagé avec moi à quel point ils étaient horrifiés de mesurer l’ampleur du phénomène, et m’ont remerciée d’avoir traité le sujet.
Si les entraineurs peuvent se servir de mon film comme d’ un outil pour éviter qu’on en arrive là, alors c’est génial ! Je sais par exemple que la personne, en charge de STAPS (Licence de sciences et techniques des activités physiques et sportives) à Lyon, va projeter le film devant ses 300 étudiants et créer un module sur les relations entraineurs-entrainés, parce qu’il a vu le film !

Comme mon film ne juge pas les personnages, ni la victime, ni l’agresseur, ni leur environnement ( la femme de Fred, la mère de Lyz, les camarades de classe) tout le monde peut s’y reconnaître et décider de prendre conscience du schéma dans lequel il se trouve, et comment on peut décider d’agir pour que cette situation n’arrive pas/plus… »

Quels sont les premiers retours du public ?

« Beaucoup de femmes viennent me remercier d’avoir choisi de raconter cette histoire de façon à ce que l’on comprenne la complexité et l’ambivalence de ce type de relation. Et certains hommes sont venus me faire comprendre qu’ils n’étaient pas passés loin de ce genre de situations… et que de voir le film leur avait permis de remettre les choses dans le bon sens. Je me souviens d’un gars qui m’a dit que le film lui avait redonné la petite boite à outils qu’il avait perdue.»

Comment vous avez réussi à faire passer le message que ce n’est pas forcément tout noir ou tout blanc, et que la jeune femme puisse se penser à un moment dans une vraie relation avec l’adulte, qu’on ait parfois l’impression qu’elle ne se sent pas coupable, comme de nombreuses victimes peuvent le ressentir ?

« Tout le film c’est des quiproquos de gestes, des quiproquos de regards, de mots… Ça a été un travail de fourmis dans l’écriture du scénario, de nombreux questionnements échangés avec les personnes qui m’ont soutenue dans l’écriture. 

Je crois qu’en vrai, dans la vraie vie… l’histoire n’existerait pas comme dans mon film. Moi par exemple, je n’ai pas eu le courage d’aller dire NON. Je ne suis juste jamais retournée à l’entrainement, du jour au lendemain. J’ai dit à ma mère « Je ne veux plus y aller », elle a dit «  Ok » sans chercher à comprendre pourquoi. Je n’ai pas eu le courage de retourner lui dire « Non ». Ce « Non » que Lyz finit par dire dans le film peut ne pas paraître crédible… mais il était important qu’il y ait une résolution positive avec ce « Non », que par le renoncement, elle gagne quelque chose, sa liberté et tout le reste. Je ne voulais pas que cela se termine par une dénonciation à la police car, pour moi, ça n’arrive jamais. On a rarement le courage de faire ça, et on est mal entendu.e.s… Dans la vraie vie, je ne suis allée dénoncer personne, et je crois que je ne le ferai jamais… C’est pour cette raison, que plutôt que de jouer la culpabilité, j’ai choisi qu’elle ressente que quelque chose déconne à l’intérieur d’elle-même, que cela soit presque physiologique… Et c’est là que le film devient presque un film de genre parce que c’est presque comme un cauchemar duquel elle se réveille, et c’est par ce biais là que le « non » devient crédible.
On est au cinéma, il y a des héroïnes, et héros, qui arrivent à faire ce que l’on n’arrive pas forcément à faire dans la vraie vie pour que cela nous donne de la force et du courage. Et c’est pour cela que ce film, je l’ai un peu construit comme un conte avec de la fantasmagorie, de l’onirisme. J’ai fait de ce personnage un archétype, une icône, une vraie héroïne qui va pouvoir aller jusqu’au bout et alors montrer aux jeunes filles de 15 ans qu’elles peuvent dire non comme je n’ai pas pu/su le faire. Même si ne pas retourner à l’entrainement a été ma façon de dire «stop » … »


Cela est certain Lyz a cette mission, digne d’une héroïne de film, de montrer qu’il est possible de dire non, de dire stop ! Lyz est désormais un personnage de fiction qui va montrer aux jeunes femmes d’aujourd’hui, et de demain, qu’il est possible de dire non, de mettre fin à l’emprise. Montrer aux jeunes personnes, garçons ou filles,  que si on ne dit rien, qu’on ne bouge pas pendant l’acte, et qu’on a l’air d’une morte, c’est que notre corps indique notre non consentement.

Merci infiniment Charlène pour ce film à la fois esthétique et « utile » qui touche en plein cœur, et qui contribuera, c’est évident, à la libération de la parole !

Le dossier pédagogique du film est ICI

Anne Lucie