Si je souhaite témoigner, c’est dans le but de briser ce qui est à mes yeux l’un des plus gros tabous restant dans le tabou qu’est déjà l’inceste (mais valable dans la pédocriminalité au sens large).
Tabou qui concerne beaucoup de victimes, j’ai pu le constater sur les forums et les réseaux sociaux à chaque fois que je l’ai évoqué. Ce tabou, ce sont les ressentis corporels agréables que l’enfant/ado peut ressentir lors des violences sexuelles. Ce que j’appelle le « plaisir subi ».
Pour situer, j’ai été victime d’inceste par mon ex-beau-père de mes 12 à 18 ans, quelques viols mais une très grande majorité d’attouchements, chaque jour pendant 6 ans.
La première fois j’étais sur ses genoux, à califourchon, il a passé sa main sous mon haut de pyjama puis dans ma culotte. Il m’a demandé si ça allait, je ne savais pas quoi répondre, pas quoi faire, est-ce que ça allait ? Je ne savais pas .
Dès les premiers faits, j’ai ressenti ce « plaisir subi » et aussitôt je me suis sentie coupable, complice. Quelques mois plus tard j’ai vu un film érotique pendant que ma grand-mère, qui me gardait pour une semaine, était couchée. Rien de très choquant, c’était érotique, pas porno, juste des gens nus, mais le son qui va avec, et à partir de là, j’ai intégré quelque part en moi que j’étais « une fille de porno » (je ne connaissais pas la différence porno/érotique) .
Mon agresseur avait un seul et unique but, dans ce que je sais maintenant être une volonté de domination : me faire ressentir le maximum de « plaisir », me voir réagir, m’entendre réagir même, quand j’étais juste incapable de passer sous silence ces ressentis corporels beaucoup trop forts pour moi. Il passait beaucoup beaucoup de temps à me caresser partout, chaque centimètre de peau était transformé en zone érogène, c’était comme s’il possédait une télécommande, qu’il appuyait sur le bouton et que je ne puisse rien faire, que je ne puisse que sentir mon corps qui s’emballait et qui ne pouvait pas revenir en arrière, parce que lui, par ses gestes, l’hyper-stimulait et lui imposait l’excitation sexuelle.
Sentir qu’on n’a plus le contrôle de ses propres sens c’est terrifiant, ce qui semble être un « petit geste » (je ne fais pas de dessin tout le monde sait hélas ici ce qu’est un attouchement sexuel) provoque des ressentis énormes, envahissants, à la fois effrayants, et donc hélas, également agréables corporellement. C’est en cela que cela relève de la torture, tout autant que les agressions dans la douleur, contrairement à ce que beaucoup pensent encore .
L’agresseur sait parfaitement ce qui se passe, le mien quand il voyait/entendait que mon corps était à un haut niveau d’excitation et ne pouvait que s’emballer, me demandait si je voulais qu’il arrête, ou si c’était bien. J’étais incapable de demander qu’il arrête, parce que mon corps VOULAIT que ça continue, en tout cas c’est comme cela que je le vivais, c’est comme ça qu’il faisait en sorte que je le vive. On ne peut pas revenir en arrière quand le corps s’emballe. C’est un aller simple en enfer, tout en pensant que l’on veut, que l’on est complice, une « salope d’ado » pour ce que je me disais moi de moi-même.
Ce tabou est pourtant quelque chose qui existe et qui est répandu. Comme je le disais, je l’ai constaté sur les forums, même si j’ai, hélas, vu aussi un jour une victime se faire traiter de menteuse et de troll après avoir partagé son vécu. Et ce par d’autres victimes.
Il existe un livre que j’ai mis 4 ans à trouver car plus édité, écrit par une victime d’inceste et basé sur des témoignages et des études psys, ce livre estime à 50% les victimes concernées par ce tabou. Au minimum. Si ce livre vous intéresse, laissez un message dans les commentaires, je vous le ferai passer.
Désolée, ce témoignage est un peu décousu.
Pour le moment, on en est encore au point où beaucoup de victimes taisent ce qu’elles ont ressenti, y compris avec leur psy, et c’est dramatique pour elles. On pose souvent la question pour la prévention « est-ce quelqu’un t’a fait du mal ? » mais comme c’est si bien dit dans le livre, qu’est-ce qu’on fait si quelqu’un nous « fait du bien » ?
Ce tabou est ignoré pour (ou par ?) beaucoup, sous prétexte de ne pas donner raison aux agresseurs qui disent « elle aimait ça », mais ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les agresseurs ne nous ont pas attendus pour dire « tu aimes ça » à une victime, qu’elle ressente de la douleur ou des choses corporellement agréables.
On devrait à mon sens plutôt parler aux enfants des adultes qui font avec eux des choses qui les font se sentir coupables/honteux/méchants, afin de laisser la porte ouverte à ceux qui ont vécu ce « plaisir subi », qui peut tout aussi bien être vécu avec de la douleur ou sans (dans mon cas, je n’ai connu que ce p…. de plaisir et ne pas l’évoquer qd j’ai révélé mon passé était impossible).
Dans le livre dont je parle, les experts soulignent à quel point, si déjà l’agression « dans la douceur » est très difficile à percevoir pour l’enfant, elle devient impossible à voir quand entre en jeu le plaisir, qui plus est quand il n’y a que ça (il y a de la peur, du dégoût etc bien-sûr, mais ça, « grâce » à la dissociation, ça peut être mis de côté).
Ils soulignent aussi que loin d’être quelque chose qui minimise le trauma, ça en aggrave les conséquences à long terme .
Pour ma part, j’ai mis très longtemps avant de ne plus me sentir coupable et honteuse de ce que j’avais ressenti. Avant de révéler l’inceste via le forum d’une asso, quand j’y repensais je me disais que je devais « accepter mes erreurs de jeunesse », accepter d’avoir été une « salope d’ado ». J’ai fini par atterrir sur un forum avec la question « coupable ou victime » et on m’a alors expliqué, en me faisant un parallèle avec la drogue, me disant que c’est comme si l’on m’avait fait une injection d’héroïne de force et que je sois obligée d’en ressentir les effets. C’est exactement cela. Mon corps était, au bout de toutes ces années, drogué aux endorphines provoquées par l’excitation sexuelle que mon agresseur m’imposait chaque jour, amenant mon corps à vouloir que ça se reproduise. Et je ne faisais pas beaucoup de différence entre ma tête et mon corps, j’avais beaucoup éludé la peur de ces sensations, j’ai retrouvé cette peur en thérapie mais le chemin a été long avant d’accepter que je n’aurais pas pu réagir autrement, pas avec un agresseur mettant toute la « douceur » possible pour me faire réagir .
Pendant ces années j’en ai donc parlé régulièrement sur le forum de l’asso, et à chaque fois quand il y avait de nouvelles victimes qui me lisaient, il y avait régulièrement des « moi aussi, mais je n’ai jamais osé le dire » .
Depuis, et encore plus depuis que je n’ai plus honte de ça, je fais de mon mieux pour informer sur ce sujet, pour que ce ne soit plus qu’une info « banale » au même titre que ce qu’on sait déjà dans le grand public concernant les violences sexuelles. Il y a beaucoup à faire au niveau de la prévention pour intégrer ce tabou et cesser d’exclure celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans les descriptions « classiques » des agressions.
J’espère un jour pouvoir témoigner dans un bouquin, car quand j’étais ado j’aimais lire divers témoignages, je lisais donc aussi des témoignages de victimes d’inceste, je me souviens de « j’avais 12 ans » ou « j’étais sa petite princesse », on y parlait beaucoup de viols « complets » et de violence/douleur, je lisais ça sans imaginer une seule demi-seconde que ce que je vivais était également des agressions sexuelles, je ne me reconnaissais en rien dans les témoignages écrits, ni dans les témoignages entendus à la télévision, je les entendais et je me disais que j’étais vraiment ignoble « d’aimer » ce qui elles, les faisaient souffrir.
A l’heure actuelle, même si je ne me sens plus coupable ou honteuse, il reste des séquelles. Il m’est très difficile d’entendre dans un film banal un couple faire l’amour, entendre le plaisir exprimé réveille mon corps qui se souvient de ce qu’il a ressenti et retrouve ses réflexes de « drogué » .
Si mon corps vient à ressentir du plaisir, ce sont encore les mots et les questions de mon agresseur que j’entends .
Si vous avez vécu cela et que vous n’en avez pas encore parlé, que ça vous pèse, je vous encourage vraiment à en parler en thérapie, les bons psys formés à aider des victimes sont normalement parfaitement au courant de ce phénomène. Et surtout vous n’avez rien fait de mal, vous n’y êtes pour rien, le corps est programmé pour réagir aux stimulations et nos agresseurs nous ont carrément sur-stimulées. Que vous ayez eu le sentiment de vouloir que ça continue, de vouloir que l’agresseur n’arrête pas, que vous ayez répondu « oui » à un « c’est bien comme ça ? » et non à un « tu veux que j’arrête » ne fait pas de vous une coupable ni une complice. Vous êtes la victime et lui/elle est le coupable .
Merci de m’avoir lue.
Merci pour ce courageux témoignage.
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Merci beaucoup d’ouvrir la parole sur ce sujet hyper tabou et extrêmement douloureux psychologiquement. Le livre dont vous parlez m’intéresse. Comment peut-on le trouver ?
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Bonjour Nathalie
Envoyez moi un mail à altomelle@free.fr et je vous enverrai mon lien pdf vers le livre .
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Tellement difficile ces putains de ressentis honteux… Je n’en ai toujours pas parlé malgré la plainte. Jamais. À personne. Aujourd’hui ils me rattrapent. J’essaie de les enfouir parce qu’ils, je, me dégoûte…
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Bonjour
Je vous comprends 1000 fois et vous souhaite de tout coeur de trouver à qui en parler , vous venez de faire le 1er pas ici 🙂
Si le livre dont je parle vous intéresse envoyez moi un mail à altomelle@free.fr et je vous transmettrai le lien .
Bon courage , vous n’avez rien fait de mal …
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Je trouve ce témoignage d’un courage et d’une force admirable.
je te félicité Opale d’ouvrir ce pan très important pour mieux comprendre encore toute la manipulation et ses dégâts qui se cachent derrière toutes ces atteintes profondes de notre intégrité dès l’enfance.
Peu de gens parlent de cet aspect qui accentue l’isolement , la culpabilité et la honte et certainement aggrave les phénomènes de mémoire traumatique, de refoulement disait on plus souvent avant.
« Refoulement » est un mot qui a l’avantage d’être plus facilement compris là où » mémoire traumatique » est pourtant le terme précis mais qui n’est pas toujours parlant pour ceux qui la connaisse mal.
Je me souviens d’un témoignage il y a longtemps, passé au journal télévisé, d’un jeune homme qui avait été le jouet sexuel d’un familier et avec un grand courage il avait exprimé le fait qu’il s’en voulait car malgré sa colère, sa honte, le fait qu’il savait qu’on le violait, il lui était arrivé de constaté une forme de plaisir de son corps. Parce que , surtout sur un garçon, cela peut se voir. Est-ce lui ou son interlocuteur qui a su répondre ça: il avait été tellement stimulé que mécaniquement son corps avait réagit. Mais était- ce son plaisir, son vrai plaisir?Etait ce cela véritablement?
Je pense aussi à cette notion si forte qui en dit très long sur la perte totale de repère lorsqu’on subit des violences sexuelles: la notion de colonisation que la docteure Muriel Salmona explique magistralement.
On est totalement imprégné, à fortiori lorsque ces violences commencent dans l’enfance, par les mots, les expressions, les manipulations sous forme de menaces ou sous forme d’une speudo affection voire amour, par l’exigence, la perversité, la jouissance de l’agresseur.
D’une certaine manière, nous pénètrent autant son corps qui nous viole que ces mots et ses pulsions.
Comme si, par cette horrible effraction, plus aucune limite n’existait et que toutes nos protections explosent alors nous devenons perméables, sans défense, sans recours, à la « pollution » de celui qui nous violente.
Je suppose que c’est encore plus fréquent lorsqu’il s’agit d’un parent car, c’est une référence. Quand on est petit, le monde s’arrête à notre famille et nous avons peu ou pas d’éléments de comparaison et tant besoin d’en être aimé et de les aimer. Même pour survivre.
En ce qui me concerne, j’ai, parmi mes flashs, mes reviviscences, des souvenirs peu nombreux mais qui existent, d’un plaisir induit et incompréhensible.
Je me souviens très bien que cela commençait surtout par des douleurs insupportables, des paroles prononcées horribles qui me poussaient à dire que « j’aimais ça ».
Non, je ne le pensais pas et je ne vivais que la douleur. Je ne voyais pas la fin de cette épreuve. je pense que j’avais environ entre 8 et 10 ans.
Je pensais que j’allais y laisser ma peau. comme si souvent je m’en rends compte, je sentais que je ne pouvais pas supporter plus. Le danger était extrême.
Je voyais que le type était fou et il l’était dans le déchaînement de ses pulsions qui seules comptaient. Dans l’indifférence totale de la gravité atroce de ce qu’il me faisait. Je n’étais rien. juste une jouet sexuel. Je n’existais pas. et quelle douleur désintégrante de sentir qu’on existe pas pour l’autre. qu’on ne représente rien d’autre que des orifices pour soulager sa perversité. C’était interminable, c’était trop horrible.
Alors je me suis dissociée , une fois de plus mais différemment. J’ai coupé les circuits de la douleur. comme on coupe le moteur d’une voiture. J’ai encapsulé la douleur , la terreur pour tout mettre en oeuvre afin que cela s’arrête plus vite. J’ai compris qu’il fallait que j’accède à ce qu’il me demandait pour voir le bout de cet enfer. J’ai abandonné mon corps, j’ai tout lâché même pour avoir moins mal car je lui résistais forcément. je sentais que dans cette résistance ma souffrance augmentait et que cela durerait. Alors , j’ai fermé tout ce qui était normal en moi et j’ai déclenché le robot qui allait faire semblant. Ce robot d’une partie de moi qui se mettait en marche pour me protéger quand même, pour protéger ce qui devait survivre, ce qui devait ne pas être abîmé.
C’est ainsi que je suis entrée, à chaque fois, plus profondément dans la mémoire traumatique jusqu’à arrivé à un refoulement total et un oubli presque complet en vieillissant. J’avais tellement raffiné cette « technique » de survie…
En coupant les circuits de toute ma souffrance, j’ai pu jouer le jeu de ce type dégoûtant. J’ai emboîté son délire. J’ai fini par lui parler et lui dire, comme un robot, que « oui, j’aimais ça ». Et comme un robot, j’ai superposé à la douleur déchirante que je ressentais dans mon intimité, une autre couche. J’avais donc » éteint » la brûlure sanguinolente au fond de mon corps puis accoler les propos de cet ordure au même endroit pour arriver à mimer ce qu’il me disait et ce qu’il exigeait.
J’ai ressenti alors des spasmes dans un mélange de douleur et de contractions puis j’ai cru que cela ressemblait à du plaisir. Il l’a sentit ainsi et était arrivé, selon lui, à ses fins. Il a joui d’une façon ignoble. Et je me suis sentie perdue. je ne savais plus où j’étais, ce qui s’était passé, ce qui était vrai ou ne l’était pas. J’avais, je pense, terriblement honte d’être salie par sa jouissance, terriblement honte d’avoir fini par répondre.
Pourtant quand je m’en suis souvenue, récemment, j’ai, par chance, pu me souvenir que j’avais surtout tout fait pour ne plus souffrir et pour survivre. je n’ai plus ressenti de honte car je me suis battue, au fond, pour m’en sortir, pour que le calvaire s’arrête, pour que je puisse m’enfuir, pour que je puisse oublier et pour que je puisse redevenir une petite fille comme les autres
Et j’ai oublié en effet.
Je voulais juste m’amuser avec mes copines, jouer dans la cour de l’école, être protégée par mes parents qui ne le faisait pas. Je voulais accéder à cette vie « normale » des autres et je n’y arrivais pas. Je me sentais si seule et dans une éternelle punition.
Me souvenir de cet épisode affreux m’a permit de comprendre que la vie en moi a été si forte que j’ai fais ça, et j’ai oublié pour arriver à vivre un peu, à rire de temps en temps.
En me souvenant j’ai souffert mais j’ai commencé à sentir que je n’allais pas vivre « un peu » mais CARREMENT maintenant. et que j’avais eu une force inouïe au fond de moi pour cela.
Anne
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Merci Anne de vos mots et votre partage .
J’ai en effet lu sur la colonisation par l’agresseur et il y en a sûrement ds mon vécu mais je pense aussi qu’il y a une vraie réponse mécanique du corps qd il est surstimulé .
Les actes commis font que je n’ai pas eu à m’échapper d’une douleur physique mais j’entends bien ce que vous expliquez de votre vécu et qui est très intéressant .
Je vous souhaite un beau chemin 🙂
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