Comment faire face à cette solitude parfois handicapante ?

Comment prendre conscience que, oui, votre histoire compte ?

Comment faire face lorsque son entourage n’est pas présent ?

Comment retrouver confiance et comprendre que vous avez de la valeur ?

Il y a quelques années, j’ai enfin pris conscience que j’avais été abusée sexuellement par ma meilleure amie pendant plus de 10 ans durant mon enfance. Sans que j’en parle à qui que ce soit, j’ai aussi compris qu’elle avait été elle même victime d’inceste de la part de son père, chose qui fut confirmée par la suite. Lorsque j’ai enfin eu le courage d’en parler à ma famille, ce fut un moment très difficile. Ils ne semblaient pas surpris, m’ont écoutée, puis, plus rien. Et le sujet est vite devenu tabou. À la suite de cet épisode, j’ai perdu beaucoup d’amies, qui ont été un peu apeurées par ma réaction. J’étais dépassée par les événements, et je ne savais pas comment réagir. Les souvenirs étaient très douloureux, car ils prenaient enfin tout leur sens. Cette amie, nos relations, quelques visionnages de vidéos pornos plusieurs fois par soir à tout juste 6 ans, des jeux sexuels, attachées, plaquées, embrassées, touchées, en sueur, l’une sur l’autre dans des ébats violents, puis un semblant de relation amoureuse (purement sexuelle) avec cette amie jusque mes 15 ans. Il valait mieux voir les choses sous cet angle. Et puis… son père dans l’ombre de tout ça. Que s’était-il vraiment passé ? Tout ressurgissait, si vite, que j’ai même, soudain, commencé à douter de moi face aux réactions vives et paniquées de mon entourage. Ils pensaient que je délirais. Lorsque la maman de mon amie d’enfance fut mise au courant, elle confirma mes dires, au sujet de la relation incestueuse entre sa fille et son ex-mari. Cette amie m’a tout de suite retirée de Facebook, seul lien que j’avais gardé avec elle. J’ai su qu’elle avait repris contact avec son père malgré ce qu’il lui avait fait subir. Elle avait apparemment entrepris de lui faire garder les enfants de son compagnon. Je n’ai plus jamais eu de ses nouvelles.

Il me restait deux ans pour porter plainte, jusque mes 28 ans, chose que je n’ai pas réussi à faire.

Son père est décédé trois ans plus tard des suites d’un cancer. Il avait une cinquantaine d’années.

Ma parole m’a semblé comme une bombe qui avait éclaté et brisé tout ce que je connaissais de sûr. Très vite, l’isolement a pris le dessus. Me sentant abandonnée dans le processus par ma famille et certains de mes amis les plus chers, je commençai à douter fortement de moi, et de mes souvenirs : peut-être que j’exagérais ? Peut être que, malgré tout, ce n’était pas si grave ? Je ne supportais pas le scepticisme, les interrogations et le mal que cela suscitait autour de moi, alors pendant un temps, je n’ai plus rien dit, et j’ai décidé de tout ignorer à nouveau.

Je ne pensais pas trouver la force en moi de croire en ce qui m’était arrivé, puis, un après midi, seule chez moi, j’ai éclaté en larmes d’un seul coup, sans que je comprenne pourquoi. Rien ne semblait me consoler, ni réparer la douleur physique que suscitait ce dont je prenais conscience. À cet instant, je compris qu’il fallait que je prenne ma situation en main, que je sois seule ou accompagnée.

J’ai décidé de me faire aider professionnellement, en passant par une association qui vient en aide aux victimes pendant l’enfance. On m’a prise au sérieux, sans paniquer, sans mettre en doute ma parole et grâce à ce soutien sur plusieurs années, j’ai pu faire face à d’autres souvenirs qui sont remontés, dans le calme et la sécurité.

Ce n’était pas la seule fois. Un animateur club enfant au Maroc, où n’avions passé des vacances m’avait fait des attouchements, plus ou moins en parallèle de mon amie, quand j’avais 4 ans. C’est étrange comment les souvenirs fonctionnent : J’ai eu beaucoup de mal à me souvenir concrètement de ce que l’animateur avait fait. Très honnêtement, je n’y arrive toujours pas car je ne suis pas sûre de vouloir m’en souvenir. Je sais que je ne l’aimais pas, et qu’il m’a embrassée, nous avons été seuls tous les deux, mais au delà, je bloque. J’ai toujours su, et j’y avais déjà repensé seulement quelques années avant ma première prise de conscience, et pourtant, je ne pense pas que j’étais capable de tout gérer à la fois. Cette fois-ci, j’ai choisi de ne pas en parler à ma famille.

Aujourd’hui, je peux vivre avec ça. Mais je reste blessée par le manque de soutien de mon entourage, car souvent, ce choix du silence chez eux me ramène à un doute profond, et je continue de me dévaloriser régulièrement. Je me suis isolée, et ressens une solitude profonde dans ma démarche. Et je culpabilise encore d’avoir mis en lumière ces épisodes, comme s’ils n’avaient pas vraiment d’importance. J’ai souvent eu l’impression que j’allais passer pour une folle ou que je cherchais juste de l’attention. Cette sensation me hante et m’empêche d’avancer sereinement.

Je pense n’avoir pas porter plainte pour cette raison.

Plus récemment, j’ai décidé de me confronter à mon père à propos du Maroc. Il s’est tout de suite souvenu de l’animateur et du club enfant. Ainsi que de toutes les scènes que je lui décrivais. Notamment quand l’animateur est venu me chercher alors que j’étais avec mon père. Je l’avais supplié de ne pas me laisser partir seule avec lui. Je le détestais.
Mon père était abasourdi, et m’a expliqué pourquoi il a fini par me confier à lui, malgré ma remarque. Il avait peur que sa fille passe pour une raciste. La conversation s’est tout de même bien passée. Il est le seul à être au courant. Il s’est excusé pour tout ce qui m’était arrivé.

Tous ces souvenirs sont assez lourds, et j’ai encore beaucoup de trous noirs, auxquels je ne souhaite pas me confronter pour le moment.

Chaque chose en son temps, petit à petit, mais une chose est sûre, je veux reconstruire ma vie et réaliser mes rêves, quoi qu’il me soit arrivé. Cette certitude m’anime d’une féroce envie de me venger et de vivre.  COURAGE.

Anonyme