Capucine Maillard a écrit et est l’une des interprètes de Quelque chose, mise en scène par Andréa Bescond, une tragi-comédie lumineuse, dont je vous ai déjà parlé, sur la traversée des épreuves de 4 femmes profondément meurtries dans leur chair.

J’ai eu la grande chance de pouvoir assister aux répétitions ! Quelque chose est une pièce forte, puissante et drôle, qui libère absolument la parole, et, surtout diffuse de l’espoir ! Courez-y !

A quelques jours de la première ( le 8 mars au Ciné 13 Théâtre à Paris), Capucine a accepté de répondre à quelques questions. MERCI !


Pourquoi est-ce important d’utiliser le théâtre, l’art en général, comme moyen de libérer la parole sur un thème comme l’inceste ou les violences sexuelles plus largement ?

Je pense avant toute chose qu’il est fondamental de parler des violences sexuelles tout court.

Le refus récent du Parlement de prolonger le délai de prescription n’aura eu qu’une seule vertu : EN PARLER. Rappeler que tous les jours, des mômes, des femmes, des hommes subissent l’enfer et que le dispositif en place est totalement insuffisant pour les protéger.

Juste comme base de réflexion… Sur les 84 000 femmes majeures qui déclarent chaque année être victimes de viol ou tentative de viol, moins de 10 % déposent plainte, et seule 1 plainte sur 10 aboutit à une condamnation.
 Par ailleurs, les mineurs qui n’apparaissent pas dans ces chiffres représentent 60% de victimes de viol.
On dit en général, qu’il faut faire avancer les choses pour protéger les victimes. Mais ce n’est pas là le seul enjeu. A mes yeux, la question fondamentale à se poser est la suivante : Est-il possible d’être citoyen d’une société qui tolère les viols, bien qu’elle les condamne ?

J’ai le sentiment qu’en France, et ailleurs certainement, on souffre du syndrome du «bon ben», Syndrome largement répandu, qui consiste à justifier des transgressions, y compris les pires, au motif que «bon ben…»
«bon ben…oui mais rentrer toute seule la nuit, hein…»
«Elle avait une jupe ? ha bon ! ben forcément…»
«…Et puis bon, il ou elle n’avait qu’à dire non…»
Le «Bon ben», c’est l’arme fatale et dangereusement pacifique de la résignation.
A partir du moment où une phrase introduit un «bon ben», elle se termine inéluctablement par l’idée, qu’il n’y rien à faire, à part essayer de passer au travers des gouttes, et que ceux qui sont mouillés doivent forcément avoir une part de responsabilité…

Pour endiguer ces pensées populaires et leur terrible pouvoir d’inertie, Ne faut-il pas simplement amener les gens à réfléchir ? Comme je suis très optimiste, je pars de l’idée que la plupart de ceux qui sont devenus plus ou moins malgré eux des relais du « bon ben » n’ont simplement jamais eu l’occasion de voir les choses autrement. En parler, c’est offrir à tous la possibilité de se poser des questions, d’avancer pour soi-même, et pour la société.

Imaginons deux secondes que demain, on prenne le problème à bras le corps.

Caroline de Hass a cité un exemple que je trouve très intéressant. Il y a 30 ans, quand on mangeait chez des amis après avoir torpillé 2 ou 3 bouteilles de rouge, on s’en jetait volontiers un dernier pour la route, voir plus, encouragé par tout le monde, parce que quand même «on va pas partir comme ça !». On rentrait en voiture plus ou moins bourré, on avait plus ou moins d’accidents, et « bon ben… » c’était comme ça. Les contrôles routiers, c’était vraiment de la censure, les flics, des cons frustrés et les morts sur la route dus à l’alcool, pas notre problème.
C’est alors qu’on a été immergés par des campagnes de pub. Vous vous souvenez ? Celui qui conduit, c’est celui qui ne boit pas…et puis des pub télé terribles avec des images d’accidents, des gens en sang, démembrés, des sanctions renforcées contre l’alcool au volant, le fameux « 0.5 », les 6 points perdus pour conduite en état d’ébriété, des moyens de contrôles démultipliés… pendant des années, très régulièrement, on en a parlé à la France entière.
Et maintenant ? Les chiffres de morts sur la route pour cause d’alcoolémie ont significativement chuté, et surtout, on trouve totalement irresponsable de conduire saoul, on prend des taxis, des Ubers, on se relève la nuit pour aller chercher ses mômes à leurs boums contemporaines plutôt que de les laisser rentrer avec « un copain », on peut dire «  non merci, c’est moi qui conduis », sans se faire traiter de ringard.
Le « bon ben », en matière d’alcool au volant, est désormais au chômage technique, Hi haaa !
Et si on compte qu’il a fallu 30 ans pour en arriver là, Je suggère qu’on s’y mette tout de suite pour ce qui est des agressions sexuelles…

C’est un très gros chantier, on en est tous conscients, c’est encore, à ma connaissance le seul crime où les victimes se sentent coupables à cause du message que leur renvoient à peu près systématiquement leurs agresseurs, mais aussi parce que la société les isole avec cette saloperie de «bon ben».

Les crimes d’inceste, de pédophilie, de viols ne sont pas quelques cas isolés, c’est un véritable problème de société !

C’est à l’État d’agir, de légiférer, d’accord, mais pas seulement. C’est une responsabilité collective, des médecins, des enseignants, des associations, des citoyens. Je rêve de voir un métro entier se lever la prochaine fois qu’un homme se permet une main aux fesses à une femme. Parce que le sentiment de toute puissance commence là, dans le silence. C’est vrai qu’il faut du courage pour intervenir, mais bon sang, si tout le monde s’y met !

Si le changement naît de la prise de conscience, alors l’art, le théâtre ont un rôle très important à jouer. Le théâtre c’est un outil fabuleux, parce qu’il s’adresse à tout le monde, et qu’il parle au cœur.

Les propos de femmes ayant subi l’inceste t’ont inspirée pour écrire cette pièce, quel a été le déclic qui t’a donné envie de porter leur parole devant un public ?

Leur lumière…

Tout le monde traverse des épreuves, ce qui me touche, c’est cette lumière naturelle, cette force incroyable et communicative qui se dégage de toutes celles qui cherchent à s’en sortir.

En 2010, quand je vivais en Suisse, j’ai rencontré dans une association un groupe de femmes immigrées qui avaient cette même lumière, j’en ai fait un livre «  Femme de Cœur et d’épice ». J’avais un seul véritable objectif : mettre dans un truc carré en papier, la force de vie qu’elles portaient, pour que je ne sois pas la seule à en profiter… Je voulais montrer la beauté de ces femmes qui se relèvent.

capture-decran-2017-02-27-09-45-53Quand en 2013, j’ai rencontré celles qui m’ont inspiré la pièce, c’était pareil.
Et puis l’inceste, dans l’échelle informelle des emmerdements, c’est le point ultime.

En plus du traumatisme, il y a dans ces violences une sorte de « configuration fausse du disque dur ». L’enfant est un petit être malléable en qui on fait entrer des informations pour lui permettre de vivre bien quand il sera grand. Quand on commence la vie avec l’inceste dans sa base de données, et que l’on construit l’image de soi sur cette base, dans des couches tellement profondes, les efforts à fournir pour revenir sont encore plus grands, plus complexes.

Et ces femmes-là, qui ont eu ça dans leur disque dur de mômes, elles se retrouvent plus tard à devoir mener de front leur vie d’adulte, leur boulot et en même temps, en profondeur, ce long travail de reconfiguration…Bon sang, quel courage !!

On dit des victimes de pédophilie, de violences sexuelles que ce sont des « survivants », tu m’as proposé une jolie ré-interprétation de ce mot : « sur-vivant ». Peux-tu développer ?

 Choisir de vivre.

Choisir de vivre vraiment, quand on a cru mourir, ça veut dire aller chercher en soi des forces qu’on ne soupçonnait absolument pas…

C’est le paradoxe des épreuves, sans elles, on n’aurait pas eu besoin de se dépasser, on aurait peut-être même jamais découvert ces trésors de vie… C’est la résilience dont parle si bien Cyrulnic.

J’ai observé que ces femmes sont souvent très généreuses, comme si en plus d’utiliser leur force pour elles-même, elles en gardaient encore un peu pour les autres. J’ai l’impression que la traversée des épreuves les font devenir « plus » elles-même. Elles se dépassent pour survivre, et plein de belles choses peuvent naître avec. Comme si dès lors qu’elles ont décidé de se battre, en plus de se réparer, et sans toujours en être conscientes, elles s’accomplissent…

Je parle beaucoup des femmes, parce que cette fameuse lumière, je l’ai véritablement découverte dans leur intimité, quand les mots, les rires, les larmes jaillissent. S’il y a un homme dans un groupe de femmes, l’énergie est différente, l’inverse est vrai aussi. Je suppose qu’il existe la même force chez les hommes entre eux, mais je ne me sens légitime à m’exprimer que sur celle que j’ai eu la chance de partager, celle des « sur-vivantes ».

Quelle est pour toi la mission de « Quelque chose » ?

 Faire sentir, ressentir tout ce que je viens de raconter, avec une bonne dose d’humour, parce que c’est une belle façon de prendre du recul.

Et puis donner de la force, peut-être, faire partie de la chaîne de tous ceux et celles qui transmettent… Ce serait fabuleux.

Merci Anne Lucie de m’avoir posé de si belles questions !


Réservez vite vos places pour l’une des 13 autres représentations de « Quelque chose » du 8 au 26 mars 2017 au Ciné 13 Théâtre !

Une mise en scène d’Andréa Bescond
Un texte de Capucine Maillard
Avec Jade Phan-Gia, Carole Sauret, Luc Alenvers, Claire Guillamaud et Capucine Maillard !

Réservations sur le site du théâtre
http://bit.ly/2jnRFHA
ou sur Billet reduc
http://bit.ly/2m8lzC9