J’ai rencontré Caroline Lorton, avocate à Lyon, lors d’une intervention en Bourgogne. Nous sommes restées en contact et dernièrement je lui ai proposé de répondre à quelques questions pour le Blog. Je suis ravie qu’elle ait accepté !
Bonne lecture !
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On le sait, il est difficile pour une victime de violences sexuelles de porter plainte et encore plus que la plainte aboutisse à un procès et encore plus que l’auteur des violences soit condamné… qu’est-ce qui vous donne la force et le courage d’être l’avocate de victimes de violences sexuelles ?
Ce n’est pas moi qui ai du courage, je ne fais que mon travail : je défends. Ce sont les victimes qui ont le courage de venir pousser la porte d’un avocat ou d’aller porter plainte et de s’engager dans une procédure de plusieurs années.
Il existe une méconnaissance des droits des victimes qui n’est plus acceptable et c’est ça ma bataille : être au côté des victimes, les guider dans leur reconstruction en utilisant tout ce que le législateur peut leur offrir. Ce n’est pas du courage mais simplement de la vocation.
Une chose est sûre, c’est que pour chaque dossier, je me dis que la nature humaine a une force incroyable : ce sont des belles leçons de vie souvent de voir ces victimes, mes clients, rebondir malgré tout, et choisir de se reconstruire.
Cela fait 10 ans que je suis avocate de victimes, toutes sont donc atteintes dans leur intégrité physique et psychique.
Mon but est simplement d’aider la victime à être reconnue en tant que telle. Pour ce faire, après la bataille pénale qui est celle où sera fixé la gravité des faits, se poursuivra celle de faire reconnaitre par la justice toutes les répercussions qu’elle subie.
Est-ce que vous pensez que La loi dite Schiappa protège mieux les victimes ? Que faudrait-il de plus ?
Je pense qu’il faut avant tout outiller les professionnels : il faut former les soignants, l’éducation nationale, les gendarmes, les policiers, les professionnels du droit et ceux du secteur médico social. Bref, il faut absolument former à l’écoute, au traitement des dossiers…
… Former pour informer.
Est-ce que je me trompe en disant que la République condamne les personnes qui ont enfreint la loi, plutôt que de proposer réparation aux victimes ?
La parole se libère concernant les violences sexuelles et c’est tant mieux.
Aujourd’hui, il me semble primordial d’ouvrir le débat pour que :
– les victimes aient la force de parler et d’aller porter plainte, d’une part;
– mais aussi pour que leur statut de victime soit enfin correctement reconnu devant les tribunaux, d’autre part.
C’est ce que je disais un peu plus haut :
Je consacre mon activité à la défense de victimes et je pense que la reconnaissance du statut de victime puis la reconnaissance des préjudices d’une victime d’agression est essentielle pour sa reconstruction.
La violence sexuelle est avant tout un traumatisme corporel. Les complications psychologiques et psychiatriques existent évidemment, mais il ne faut pas oublier ce que cela entraine dans le corps : c’est une bombe, le corps est détruit que la personne en ait conscience ou pas.
Je plaide constamment contre les a priori : on alloue un préjudice moral pour une victime d’agression ou de viol, mais pourquoi, quel sens cela donne-t-il à la victime ? (confusion entre la peine et la place de la victime).
C’est pourquoi, je défends les besoins de tenir compte des répercussions subies par la victime. Pour cela, il faut passer souvent par une expertise médicale : une victime de violence sexuelle étant atteinte dans son intégrité physique et psychique n’est pas moins victime que celle d’un accident de la route qui est amputée dans sa chair; une victime de violences sexuelles n’est pas seulement atteinte dans sa dignité et la reconnaissance d’un préjudice moral n’est pas suffisant; l’impact est tellement énorme, par exemple sur un enfant dont on ne connait pas quelles seront les conséquences de ce traumatisme dans la construction de sa vie, à l’âge adulte… bref, la réparation intégrale est essentielle, elle touche toute la vie dans toutes ses composantes.
La reconnaissance de la culpabilité de l’agresseur est une chose mais ce n’est pas une fin, au contraire, c’est le début pour la victime de faire reconnaître toutes les répercussions sur sa vie.
A nous avocat de victime de porter et de faire entendre cette parole.
Que pensez-vous de ce que l’on appelle la « justice restaurative » de plus en plus proposée aux victimes pour obtenir un « pardon » venant d’auteurs de violences sexuelles ?
Peut être faudrait il poser cette question aux victimes, et je pense même que nous aurions des réponses différentes selon les personnes.
A mon sens, il faut donc être prudent et accepter que certaines victimes n’aient pas envie d’entendre un tel processus.
Elle peut être intéressante lorsqu’elle accompagne la réponse pénale dans l’exécution de la peine car la proposer trop tôt peut être mal vécue et donc sans effet.
Mais surtout il faut que la procédure soit bien encadrée par les professionnels formés pour laisser à chacun sa place sans risque.
Pensez-vous qu’il soit possible qu’un jour nous puissions voir inscrit un seuil d’âge de 15 ans dans la loi ? Arriverons nous à faire faire voter dans un avenir proche l’imprescriptibilité des crimes sexuels en France comme c’est le cas dans d’autres pays ?
Je ne sais pas ce qui sera possible ou non… mais beaucoup travaillent pour l’imprescriptibilité par exemple. Il est vrai que souvent, quand la parole se libère, elle ne se libère pas seulement pour une personne, mais bien souvent pour plusieurs victimes. Il est donc difficile d’entendre une condamnation pour X à l’égard de Y mais pas Z car prescrit. Ce n’est pas entendable à mon sens pour les victimes.
Pensez-vous qu’il soit important de porter plainte ? Conseillez-vous de le faire même si les faits sont légalement prescrits ?
Oui il faut aller porter plainte. Il faut oser dire les choses, car même s’il n’y a pas de suite cette plainte sera enregistrée et servira peut être malheureusement à d’autres, pour qui la prescription n’est pas acquise.
Peu importe les suites judiciaires, je pense que c’est important.
Attention, ce n’est pas parce que la victime va porter plainte que sa vérité sera celle de la justice, mais au moins il y aura une trace.
Que diriez-vous à une victime qui hésite à contacter un-e avocat-e ?
Pourquoi hésiter. Aller voir un avocat permet de faire en sorte que la victime puisse avoir conscience de ses droits et agir en toute connaissance de cause.
Soit elle vient au préalable, et dans ce cas, ce n’est pas parce qu’elle va voir un avocat, qu’elle engage une procédure.
Soit elle vient parce qu’elle a porté plainte et la procédure est en cours, auquel cas, elle a déjà fait un pas immense, mais la procédure qui l’attend derrière va être lourde et longue, et le fait d’avoir son avocat lui permettra (c’est ce que je dis à mes clients) de décharger le stress procédural sur ce professionnel.
De manière plus générale, il faut absolument dédramatiser le recours à la justice, la victime ne doit pas avoir peur de se battre contre un tribunal, elle doit simplement se soucier de se reconstruire; et ce n’est que par la prévention et l’information que cette situation s’améliorera.
J’entends trop souvent des adultes venir à mon cabinet et dire qu’ils ont eu peur, qu’ils ne savaient pas, mais c’est trop tard. De même, Il faut absolument dédramatiser le recours à un avocat pour permettre à chacun de faire valoir ses droits et d’être conseillé.
L’avocat est là pour écouter, soumis au secret professionnel, il guidera. Son seul but sera de défendre son client en toute indépendance.
En tant que professionnel du droit, notre rôle est de prévenir tout justiciable de la marche à suivre, que ce soit en amont ou pendant le procès. Mais au moins, la personne aura toutes les cartes en mains pour décider.
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Merci infiniment Caroline pour ces propos qui, je l’espère, pourront encourager des victimes à oser se donner le droit de venir voir un.e avocat.e
Merci infiniment pour votre implication, maître. 🙏💚
Il faudrait qu’il y ait plus d’avocats comme vous…
Ceux que j’ai pu rencontrer étaient malheureusement loin d’une telle vision de leur rôle…
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