« #TousConcernés : ils prennent la parole contre le harcèlement sexuel » c’est ce que nous proposait le Parisien hier avec les visages des hommes qui s’engageaient, qui osaient dire que le harcèlement sexuel c’est pas cool pour les femmes et les hommes aussi. Quasiment dans la foulée sur Médiapart, Caroline De Haas rétorque et remarque que pour certains d’entre eux cette revendication de soutien aux femmes est nouvellement affichée, voire calculée…

Bon, si je ne réfléchissais pas… je me dirais, vraie ou pas vraie, cette compassion exprimée envers les femmes, et les hommes, qui ont été harcelés, agressés, violés, a le mérite d’exister. Voilà 3 semaines que le phénomène ne désenfle pas, que le mouvement est mondial, que la parole est, plus que libérée – car ce n’est pas la première fois qu’on dénonce l’insupportable – cette fois-ci, il semblerait que la parole soit entendue, et plus encore… des plaintes sont déposées, des enquêtes sont ouvertes… Nous vivons sans doute un moment sans précédent… et pourtant…

Et pourtant, malgré le fait que Brigitte Macron ait fait déplacer les médias à la représentation des Chatouilles le 16 octobre dernier, notamment parce qu’à la suite de la pièce allait se tenir un débat sur la question : « Crimes sexuels commis sur mineur-e-s : faut-il faire évoluer la loi ? », en présence de Mesdames Schiappa et Belloubet… à part quelques articles dans la presse qui mettaient plus en avant la présence de Brigitte Macron que le contenu de la soirée, et le fait qu’Andréa Bescond ait été l’invitée de Yann Barthès dans Quotidien au lendemain du débat… pas de réactions d’hommes et de femmes pour revendiquer haut et fort qu’ils-elles se sentaient tous concerné-e-s par la pédophilie !

Un enfant agressé sexuellement dans l’enfance, surtout s’il garde malgré lui cette-ces agression-s secrète-s, aura encore moins de possibilités de contrer des agressions sexuelles, du harcèlement sexuel une fois adulte, car il est inscrit dans ses gênes qu’il ne doit pas résister…

Faut-il encore et encore le rappeler ! D’après le Conseil de l’Europe, près d’un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles (crimes ou délits)… 1/5, 10/50, 100/500, 1000/5000, 100000/500000, etc… ça en fait du monde, pas vrai ? Pas assez pour se sentir concerné-e-s ?

La parole, majoritairement celle des femmes, se libère et est entendue, et c’est génial ! Quand celle des enfants d’aujourd’hui et d’hier bénéficiera-t-elle de cette même opportunité ? Comment porter plainte et oser dire, quand après l’âge de 38 ans ce n’est plus possible de le faire ? Comment le faire quand les victimes, qui ont trouvé le courage de porter plainte, reçoivent des courriers précisant que c’est la loi en vigueur au moment de leur majorité qui fait sens et non la dernière loi adoptée ?

Les crimes pédophiles mettent la société face à son impuissance la plus profonde… Imaginer, lire, découvrir comment on peut faire du mal aux enfants, comment on peut les toucher, les violer, est insupportable pour le commun des mortels et c’est d’ailleurs pour cela que plus de 40 % de ceux qui l’ont vécu dans l’enfance rangent, malgré eux, ces souvenirs horribles et insupportables dans un coin de leur mémoire traumatique pour ne plus y avoir accès…

Lors du débat du 16/10/17, Edouard Durand, magistrat, juge pour enfants, répondait à ce couple de parents venus exprimer que leur fils était en contact avec un pédophile (et que malgré leurs actions, malgré le signalement par un pédo-psychiatre, la justice ne bougeait pas) que le plus gros obstacle qui empêchait aujourd’hui de lutter contre la pédophile était le déni des professionnels et de la société. Vive le juge Durand ! Comme j’ai enregistré le débat, je partage avec vous l’intégralité de son intervention :

« La première chose que je voudrais dire c’est que vous avez raison (il s’adresse aux parents), à l’évidence vous avez raison. Et, plus j’y pense, plus je me dis que ce qui peut expliquer ce que vous venez de dire, c’est la puissance du déni qui habite encore les professionnels et la société. (Applaudissements). Y compris moi, parce que ce qu’Andréa Bescond nous a montré tout à l’heure est bouleversant aussi pour ça. Mais sur ce siège blanc (élément de mise en scène du spectacle) on voit des psychologues, on voit des policiers et on pourrait voir Edouard Durant, juge pour enfants, commettre des erreurs judiciaire, parce que les mécanismes de déni sont encore très puissants et que la société ne veut pas voir les violences sexuelles faites aux enfants. Ma spécialisation de juge pour enfants me conduit plutôt à rechercher des violences dans la famille, venant d’un parent, le plus souvent le père, contre un enfant. Et, il y a des outils pour ne pas voir, pour cautionner le déni et moi je dois tenir sur mon siège, et pour ça, la loi et le conseil constitutionnel, me donnent des principes fondamentaux, comme le principe de la charge de la preuve, comme le principe du contradictoire, comme le principe de l’impartialité des juridictions. Ce qui est tragique, c’est que… vous avez raison… les principes servent davantage les agresseurs que les victimes et qu’il est possible de changer ça. Je pense qu’il est possible de changer ça et que c’est en train de changer.
Première chose qui peut changer, c’est encore de changer les lois, et Ernestine Ronai 
et moi co-présidons la « Commission violences de genre » du Haut Conseil d’égalité entre les femmes et les hommes et nous suggérons des propositions pour modifier la loi pour qu’elle progresse encore et qu’elle soit plus protectrice des victimes. La deuxième chose c’est la formation des professionnels. Enerstine Ronai, qui est ici, dirige à l’Ecole Nationale de la Magistrature pour les magistrats, pour les policiers, pour les gendarmes, pour les médecins, une section, qui est actuellement en cours, sur les violences sexuelles et qui aborde notamment la question des violences sexuelles contre les enfants. Donc, des progrès sont possibles. La troisième chose, c’est qu’il faut avoir conscience des concepts qui neutralisent la pensée des professionnels et qui aident à ne pas voir. Charles Péguy disait : « le plus difficile c’est de voir ce que l’on voit », et il y a des moyens pour ne pas voir. Un des moyens, c’est ce qu’on appelle le concept de syndrome d’aliénation parentale, par exemple pour les violences dans la famille. Il a été inventé pour ça, pour ne pas voir les violences sexuelles faites aux enfants et les violences conjugales, donc il faut déconstruire ces concepts. Je sais que vous le faites (à Marlène Schiappa) et que Laurence Rossignol vous a transmis ce flambeau de déconstruire ces concepts extrêmement dangereux. »

Question dans la salle : « Supposons qu’avec vos principes on ne puisse pas entrer en matière sur la culpabilité de quelqu’un, supposons que les preuves ne soient pas suffisantes même si c’est un médecin qui le dit. Est-ce qu’il est quand même possible de mettre en place une mesure qui fasse en sorte que quelqu’un contre qui on a une très très forte présomption de viol, qui agresse des enfants, cesse d’être en contact avec eux ? Est-ce qu’on peut mettre en place quelque chose ? »

Edouard Durand : « Oui. Avant le jugement et après le jugement il est possible de prononcer des interdictions d’exercer ou des interdictions d’entrer en contact.
Un élément de réponse qui est pour moi très important, et peut-être que c’est un élément de réponse à ce que vous venez de dire, je pense à une psychiatre, Liliane Daligand, qui dit une chose extrêmement importante : il faut que l’enfant soit cru. Pour que l’enfant puisse parler, il faut qu’il parle à un professionnel et qu’il perçoive que le professionnel le croit. Qu’il s’agisse des violences sexuelles faites aux adultes ou faites aux enfants, qu’il s’agisse des violences conjugales, de mécanismes de pouvoir et d’emprise, qui sont liés… et bien nous sommes face à des mécanismes de sous révélation. Les victimes portent très peu plainte et elles disent moins que le réel tragique qu’elles subissent. Il faut donc que, les professionnels et la société, prennent conscience qu’il n’y a aucun risque à croire, qu’il y a beaucoup plus de risques à ne pas croire le récit des victimes. (Applaudissements).
J’ai un petit point de désaccord avec ce qui a été dit dans la salle tout à l’heure… Il ne faut pas mettre ensemble les victimes et les agresseurs, il faut les séparer, et c’est le rôle de la loi de tenir les agresseurs à l’écart. »

A l’heure où le Grand Palais célèbre Gauguin, pourtant pédophile notoire blindé de syphilis, à l’heure où la cinémathèque célèbre Polanski, accusé de viols, lorsqu’elles étaient enfants, par au moins 5 femmes… Va-t-il falloir « hastaguer » de nouveau les réseaux sociaux avec un #balancetonpédophile pour être entendu-e-s ?

Parce que l’espoir fait vivre, je fais le rêve, éveillée, que de nombreuses personnalités se revendiquent #tousconcerné-e-s aussi contre la pédocriminalité !

Et en attendant ce jour, j’invite tous ceux et celles qui ont été victimes durant l’enfance à oser dire, même de façon anonyme pour commencer, pour que nous puissions nous rendre visibles !

Un merci tout particulier, une nouvelle fois, à cette artiste qui n’a jamais rien lâché et qui met sa notoriété au service du changement pour créer l’ouverture d’esprit qui fera bouger les lignes, qui ne cesse de dire et redire, haut et fort, que la France est très en retard sur sa façon de sanctionner les crimes sexuels ! Big up Andréa Bescond !

Réparons les victimes d’aujourd’hui, protégeons nos enfants… #stopprescription #stopaudeni !

Anne Lucie