A la suite du débat du 16 octobre denier, à propos de l’évolution de la loi concernant les violences sexuelles sur mineur-e-s, en présence de plusieurs membres du gouvernement, qui s’est tenu après la représentation des « Chatouilles » au théâtre Antoine, plusieurs articles sont parus dans la presse.

Comme je vous l’ai partagé ici, j’ai eu la chance d’assister à la représentation et au débat, et il se trouve que, de façon tout à fait non préparée, je suis intervenue spontanément, et que j’ai eu la surprise de voir qu’une partie de mon intervention avait été « utilisée » dans plusieurs articles et en partie diffusée dans Quotidien lors du passage d’Andréa Bescond.

Pourquoi je vous en parle ? Parce que, quand j’ai vu comment les quelques mots que j’avais lancés sans réfléchir avaient été « transformés », même si dans l’absolu la remise en forme aléatoire de mes mots reste fidèle au fond, j’ai eu envie de vérifier ce que j’avais dit… et heureusement, j’ai enregistré tout le débat afin de partager avec vous tous les temps forts de cette soirée (article à suivre)

Dans Quotidien, l’extrait choisi a relayé mes propos en partie (à partir de 16’08 ») : « On est capable d’empêcher les gens de sortir parce qu’il y a des terroristes et pourquoi on est pas capables de protéger nos enfants ? C’est l’avenir les enfants !  »
(Photo : capture d’écran TMC)

Dans Madame Figaro « On est capable de combattre les terroristes, mais pas les prédateurs sexuels ? Quelle honte ! », s’insurge une femme à quelques sièges de l’épouse d’Emmanuel Macron.

Dans Le Monde « On peut changer la Constitution pour les terroristes, pourquoi on ne le ferait pas pour protéger nos enfants ? », l’a interrompue du balcon une spectatrice.

Et dans Libération, une voix stridente aurait crié « Il s’agit de nos enfants ! »

Mais qu’ai-je donc vraiment dit ? Et où étais-je donc assise puisque que d’un média à l’autre je saute de « l’orchestre » au « balcon » (sourire) ? Avais-je une voix stridente ou bien ai-je juste parlé en portant la voix parce que je parlais sans micro ?

Voici donc une retranscription complète d’un moment du débat qui concerne un sujet que nous défendons sur ce blog : L’imprescriptibilité pour les délits et crimes sur les mineurs.

C’était à la fin du débat, le moment où Madame Belloubet a pris la parole pour conclure.
Cela fait 1h 09’42’’ que le débat a commencé :

Madame Belloubet : « Le deuxième point concerne l’allongement du délai de prescription d’action publique. J’ai bien lu les propositions de la mission de consensus que vous avez rendues (Flavie Flament et Jacques Calmettes). Alors, vous évoquez un délai de prescription de 30 ans à compter de la majorité, ce qui allongerait de 10 ans l’actuel délai de prescription. D’autres, et nous l’avons vu, évoquent la question de l’imprescriptibilité. Je comprends le besoin de cette imprescriptibilité, je ne suis pas sûre que cela soit conforme à notre constitution. C’est à dire que je ne sais pas mais cela mérite…»

Moi à voix haute pour moi-même : « Ben faut la changer » mais comme je suis à 4 rangées de la scène (et donc dans l’orchestre et non au balcon) Madame Belloubet m’a entendue…

Madame Belloubet : « Changer la constitution peut-être, mais… »

Et là, je dois bien l’admettre, j’ai coupé la parole à Madame la ministre de la Justice avec une voix qui porte (et elle porte loin ma voix) car je n’avais pas de micro : «  On est capable d’empêcher les gens de sortir parce qu’il y a des terroristes et pourquoi on n’est pas capables de protéger nos enfants ? Vous pouvez nous dire ça ? L’état de droit (oups avec l’émotion je me suis trompée, j’aurais dû dire l’état d’urgence – vous l’aurez compris : En même temps même le Président de la République a fait ce lapsus alors… 😉 ) on nous l’a fait subir pendant des mois, on nous l’a imposé et on ne peut pas imposer à des adultes de ne pas agir mal sur les enfants ? C’est l’avenir, les enfants ! »

Madame Belloubet : «  Mais je partage ce que vous dites Madame »

Moi : «  Donc on ne peut pas dire que ce n’est pas possible dans la constitution ! »

Madame Belloubet : «  La loi doit être conforme à la constitution »

Moi : «  Mais oui, mais on peut la changer ! »

Andréa Bescond : « On peut la révolutionner cette constitution… »

Petit brouhaha, et là j’avoue que comme plusieurs personnes ont réagi, il est impossible de sortir l’exactitude des propos…

Madame Belloubet : « C’est notre norme commune la constitution, il faut manifestement que nous la respections, ensuite c’est une autre chose que d’apprécier à quel niveau se situe la conformité à la constitution. Je crois que je manquerais à ma responsabilité si je ne vous disais pas cela. Je ne dis pas : rien n’est possible. Voyez par exemple quand on dit 30 ans, je ne vois aucun obstacle juridique à cette question de 30 ans. Il y a à mon avis juridiquement 2 questions qui peuvent se poser si on allonge le délai de prescription c’est celui de la preuve que vous avez évoqué (à Mr Calmettes). C’est à dire qu’il faut pour qu’il y ait un jugement, qu’il y ait preuve, cela fait partie des points incontournables, donc il faut qu’il y ait preuve, est-ce que la preuve pourra toujours être apportée si on est à 30 ans, 40 ans, 50 ans… »

Intervention dans la salle «  Mais à 3 jours il n’y a plus de preuves Madame la Ministre ! »
Gros Brouhaha dans la salle

Andréa Bescond : « Clairement, sur les souvenirs qui reviennent, ils sont hyper précis, plus la victime a le temps, plus les choses reviennent clairement »

Madame Belloubet : «  C’est une question qui mérite d’être traitée, moi je vous dis les points juridiques auxquels il faut s’attacher : à la question de la conservation de la preuve et encore une fois à la question de la conformité à la constitution. En tous cas manifestement nous pouvons faire bouger ce délai de prescription et c’est cela qu’il faut tout de même retenir. Je ne vois pas de difficultés juridiques à faire bouger ce délai de prescription. »

Fin de retransmission exacte des mots prononcés à 1h12’46’’ après le début du débat.

Vous l’aurez compris, je partage avec vous cette petite anecdote, à propos de comment mes paroles ont été utilisées, car il semble que l’on n’est jamais trop prudent à prendre du recul sur ce qu’il se rapporte dans la presse… et sur ce que gens ont dit et surtout comment ils l’ont dit. Je n’ai jamais dit « Quelle honte ! » par exemple et ma voix n’était pas stridente, elle était puissante… Après, peu importe, en fait, l’essentiel est que l’on ait relayé dans la presse qu’il y avait des interventions depuis le public et que les gens avaient envie de défendre leurs convictions, ce qui, on l’espère, est le signe que nous vivons en démocratie.

Et tout de suite après la réécoute de ce moment du débat, je retiendrai une chose : Madame Belloubet a l’ouïe fine car vraiment je me parlais à moi-même plus que je n’avais l’intention de l’interpeller, elle a été à mon écoute, elle a entendu, a accepté l’échange, est restée super calme, a pris soin de me répondre et je retiendrai ses mots : « Je ne dis pas : rien n’est possible. » qui m’encouragent à continuer d’agir pour que les lois changent jusqu’à ce qu’un jour l’imprescriptibilité soit possible pour les générations futures !

Et je m’arrêterai sur une deuxième chose… Oser la comparaison du fléau de la pédophilie à la menace terroriste a retenu l’attention de la presse car le terrorisme est LA peur commune du moment. La société n’a pas encore peur de la « menace pédophile », pourtant… si l’on reprend les chiffres communiqués par le Conseil de L’Europe : près d’un enfant sur cinq est victime de violence sexuelle, y compris d’abus sexuels… est-il nécessaire d’ajouter que cela fait beaucoup – beaucoup – beaucoup plus de victimes que le nombre de victimes engendrées par le terrorisme ?
Beaucoup de gouvernements luttent ardemment et investissent des budgets colossaux pour lutter contre le terrorisme et c’est très bien. Les prédateurs sexuels, les pédocriminels agissent là, tranquillement, au nez et à la barbe de tous, protégés par la loi qui, de fait, musèle de trop nombreuses victimes, au sein d’une société qui baigne dans le déni. Une victime de pédophilie ne va effectivement pas mourir ensanglantée sous l’œil impudique des cameras, comme on nous montre les victimes d’attentats dans les médias. Elle va mourir de l’intérieur, et se laisser ronger par un secret souvent trop longtemps enfoui et il lui faudra bien autant d’énergie qu’un survivant d’attentat terroriste pour espérer se reconstruire…
Je n’ai pas fait lors du débat, je ne fais pas en écrivant cet article, cette comparaison pour opposer les 2 fléaux, Terrorisme vs Pédophilie, au contraire ! Je me dis juste que si on est capable d’agir en vue d’éradiquer l’un, on peut se donner les moyens de faire pour éradiquer l’autre aussi. A bons entendeurs !

Anne Lucie