Est-ce maintenant le moment ? Est-ce maintenant, qu’enfin, nous n’avons plus honte de libérer la parole ? Est-ce maintenant qu’ensemble, femmes et hommes, nous nous dressons pour crier que « Ça suffit ! » ? Le mur du silence est-il fissuré pour de bon ?

La parole se libère déjà depuis quelques années, souvent de façon anonyme. La parole se libère grâce à l’engagement sincère et concret, au sein de notre société, de personnes comme Andréa Bescond, Mie Kohiyama, François DevauxFlavie Flament, Laurent Boyet, Sandrine Rousseau, Violaine Guérin, Muriel Salmona, Laurence Rossignol et j’en oublie… Leurs paroles, leurs actions ont contribué à ce que les victimes n’aient plus honte de parler, d’écrire, de dénoncer malgré un délai de prescription qui de fait, en France, musèle un nombre incalculable de personnes.

Pourtant, comme si étouffer notre histoire, notre douleur, notre droit à la reconnaissance, notre droit à nous exprimer, ne suffisait pas… on en rajoute…
• On défend (n’est-ce pas Madame Deneuve ?) Polanski quand l’opinion publique ne comprend pas qu’il soit nommé Président des Césars au moment où d’autres de ses victimes sortent du silence…
• On permet à un député pourtant dénoncé par plusieurs femmes de s’en sortir indemne (C’est cool le délai de prescription Mr Baupin, pas vrai ?)…
• On suggère qu’une enfant de 11 ans, parce qu’elle n’a pas dit explicitement « Non ! », était donc d’accord pour avoir des rapports sexuels avec un homme de 28 ans…
• On ne condamne qu’avec sursis un homme qui a violé sa fille et frappé son fils pendant des années…
• On n’enferme pas un homme politique qui se masturbe devant des enfants dans les rayons d’un magasin parce qu’il a reconnu qu’il l’avait fait et qu’il était sous pression (ceci explique cela)…
• On permet à un violeur d’avoir la garde partagée de l’enfant issu de ce viol
• On met en Une d’un magazine un chanteur qui a tué à coups de poing (oui au pluriel les coups !) sa compagne, façon héros romantique…

Vous pensiez vraiment que vous étiez protégés à jamais Messieurs et Mesdames les agresseurs, les pédophiles, les prédateurs ?

Pourtant, on vous a prévenus, maintes fois, à coup de pétitions, à coup de campagne de selfies… mais vous continuiez à ignorer (ou presque) à ne pas changer les lois, à mettre des mains aux fesses, à défendre même, à mettre en doute nos paroles, à trouver des raisons…

Auriez-vous poussé le bouchon trop loin ? Y-a-il une goutte d’eau qui a fait déborder le vase ?

L’affaire Weinstein qui concerne les USA mais aussi la France, montre que le phénomène est planétaire et nous rappelle que dans de nombreux Etats, outre Atlantique (comme dans d’autres pays d’Europe) il n’y a pas de délai de prescription. Mis en lumière par le fils de Woody Allen qui lutte depuis des années pour dénoncer l’hypocrisie du monde artistique face à la pédophilie de son père, la dénonciation du comportement de Weinstein a donné le courage à de nombreuses de ses victimes d’enfin partager leur vécu… et comme grossit une boule de neige dévalant la montagne… justement cette même semaine France 2 consacre une de ses soirées au sujet du harcèlement sexuel au travail… de nombreux témoignages s’enchainent dans les médias, de personnes connues, moins connues, inconnues…

Nous sentons nous enfin assez fort-e-s pour oser dire ? Avons-nous enfin pris conscience que nous sommes des millions, et qu’unis, c’est nous qui pouvons faire que la peur change de camp ?

Depuis cette nuit sur Twitter le hashtag #balancetonporc prend de l’ampleur telle une vague de libération totale de la parole, de plus en plus de femmes osent partager des situations vécues, souvent tues. Un #balancetatruie essaye aussi de se faire remarquer, et même s’il est bien normal que les hommes puissent dénoncer aussi le fait que les femmes savent aussi harceler sexuellement, il est dommage de constater que la plupart des tweets sont, hélas, motivés par la « vengeance » face à cette libération de la parole.

Plus qu’actives, Andréa Bescond et Mie Kohiyama ont accepté de m’envoyer un petit mot à partager dans cet article. Merci !

Andréa Bescond est une artiste engagée, qui sans relâche, suite au succès de son spectacle « les Chatouilles », se mobilise pour sensibiliser à l’importance de faire changer les lois, comme sur CNEWS jeudi dernier. Ce lundi 16 octobre, à la suite de la représentation des Chatouilles au Théâtre Antoine, se tiendra un débat en présence notamment de la Secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, et de la Ministre de la Justice, qui sera animé par Andréa.

« Il faut changer l’inconscient collectif concernant les violences sexuelles. Il faut enrayer la culture de la complicité. C’est un devoir de citoyen de dénoncer les comportements déviants. Stop au silence. Stop à l’impunité. #StopPrescripton »

Mie Kohiyama est journaliste. Après avoir écrit « Le petit vélo blanc » où elle dénonce son viol par un cousin éloigné, elle fut la première à oser porter l’affaire prescrite jusqu’en cour de cassation pour tenter de revoir les délais de prescription et milite depuis très activement pour que les choses changent.

« Cette déferlante d’anecdotes terribles révèle l’énorme chape de plomb, sous laquelle ont longtemps été enfermées les victimes, et qui aujourd’hui cède. L’époque du tabou et de la glorification des agresseurs est révolue. Continuons tous et toutes à accompagner ce changement et à affirmer désormais la tolérance zéro vis à vis de tout comportement irrespectueux.
L’intérêt de ce #balancetonporc est à mon avis la catharsis pour dénoncer des comportements sexistes ancestraux plus que de dénoncer nominativement. Dans mon esprit il ne s’agît pas d’un mouvement contre les hommes, ni dans leur humanité, ni dans leur masculinité, mais d’une dénonciation globale de ce qui a trop longtemps été considéré comme la norme en France. Ce mouvement montre que les agresseurs en tout genre n’ont qu’à bien se tenir ! 
»

Anne Lucie