Le Cri de la Muette

Parle petite fille, parle, écris, crie
Crie le, crie lui, crie leur
Ce qui te fait si mal et te ravage à l’intérieur

Les larmes coulent sur mon visage décomposé
« Incestuée », dépressive, borderline, suicidaire, bipolaire
Derrière chaque mot, un désespoir sans nom
Une prison

Parle petite fille, parle, écris, crie
Tous ces putains de mots, tous ces gestes,
Toutes ces images qui te blessent
Tous ceux qui petit à petit te délaissent
Crie le, crie lui, crie leur
Hurle plus fort ta douleur
Mais ne te mords pas, ne te coupe pas
C’est possible mais c’est interdit…
C’est interdit et pourtant ils l’ont fait
Ils l’ont commis ce crime qui te laisse infirme

Parle petite fille, parle, écris, crie
Balance leur à la gueule
Qu’ils le veuillent ou non
Qu’il n’avait pas le droit d’abuser de toi
De salir ton corps

Ils l’ont pourtant fait,
Sans foi ni loi
Cent fois, mille fois…
Crie leur, écris leur si tu ne peux pas
Mais petite fille,
Reste là, ne t’en va pas,
Ne pleure plus, ne pleure pas
Va-s-y, bats-toi
Tu n’es plus seule dans ton combat…
Les larmes cessent de couler
Et c’est la haine, la rage qui viennent parler
La haine, la rage envers ces pourris
Qui m’ont volé ma vie
Violée à vie
Qui m’ont pris mon enfance, mes rêves,
Mes espoirs, ma chance
De petite fille

Si petite, si fragile, si docile,
Ils en ont profité
Si innocente,
Ils lui ont tout fait gober,
Tout fait avaler
Leurs phrases toutes faites,
Leurs menaces discrètes,
Leur liquide poisseux
Petite fille, vite – fais un vœux

Parle, hurle, pleure, crie
Jusqu’à l’infini
Pour que quelqu’un t’entende
Pour qu’enfin cesse ce silence
De l’inceste

Elle, puis je…
Je, puis elle …
Qui suis-je ?
Poupées russes qui s’emboîtent
Et se déboîtent
De la petite fille à l’adulte
De l’adulte à la petite fille
Sans étape…

Dites-moi, vous qui le savez si bien,
Faut-il mourir
Pour cesser de souffrir à ce point ?
Ou faut-il tant souffrir pour être un jour bien ?

J’essaye en vous parlant,
J’essaye en écrivant
De remettre de l’ordre
Dans le chaos qui règne dans ma tête
Mais c’est déroutant
Car même si je parle
Au fond je reste muette.

Alors, j’écris, je crie…

Jade

 

Illustration : Le cri, tableau d’Edvard Munch