J’ai peur. Tellement peur. Une peur indescriptible.
Un nuage noir me tourne autour.

Pourtant, il fait beau.
Pourtant, tout va bien.
La vie montre ces jours-ci des facettes d’elle, jolies et colorées.
Alors pourquoi, mais pourquoi donc, ça ne va pas?

Pourquoi mes mains tremblent ?
Pourquoi j’ai des frissons ?
Pourquoi j’ai du mal à respirer ?
Pourquoi je suffoque ?
Pourquoi je deviens toute rigide ?

 Il n’y a rien, je suis à la maison, avec mon compagnon, et mon petit bonhomme qui fait la sieste.
Quelle est l’ombre au tableau ?
Qui est cette personne qui rôde ?
Qui est cette personne qui me tourne autour ?
Qui est cette personne qui ME regarde ?
Que me veut-elle, cette personne ?
Elle ne me lâche jamais du regard.
Elle est tout le temps là. Tout le temps.
Même quand on croit être tranquille.

Qu’est-ce qu’il me veut ?
Pourquoi me regarde-t-il comme cela ?
Qu’est ce qu’il va me faire ?

J’ai peur.

P O U R Q U O I tu me regardes ? Qu’est ce que tu me veux ?
Tu veux une LOUPE ? Tu ne me vois pas ASSEZ ?
Tu veux ma photo, PAPA ?
J’existe, et je me meurs dans tes yeux.

Tu t’en fous
Tu t’en fous.

L’important c’est que tu vois, Que tu regardes LA chose.
Le reste, ça n’existe PAS.
JE n’existe pas.
SANS mon sexe de fille, je ne suis RIEN.
Une flaque d’eau. Je fonds.
Tu me tues.
Lentement, mais sûrement.

Et cette maman qui ne comprend rien.
Et ce frère, qui fait chier son monde. Enfermé dans ses remparts de l’autisme.
Et moi, qui essaie de vivre dans cette tempête infernale.
Je meurs.
Un peu plus chaque jour.
Je vais m’étouffer. Je vais en finir. Je vais exploser.

A chaque fois, je me dis que c’est normal.

Normal, d’être un objet.
Normal, d’être une convoitise.
Normal, d’être regardée.
De près.
C’est normal de vérifier.
C’est normal de toucher.
C’est normal, tout ça.

Tu m’étouffes. Tu m’écrases. Tu me touches.
Et je m’enfonce dans les abîmes de ma douleur, de ma douleur de petite fille, qui vit en décalage.
A côté de sa vie.
A côté de sa famille.
A côté de ses chaussures.

J’ai voulu changer de prénom, devenir un garçon.
J’oublie, et je fais semblant.
Semblant, comme les grands.

Fais semblant.
Dis le pas à maman.
Remonte le moral des garçons,
Dis Bonjour à Monsieur l’Escargot qui bave.
Regarde rien, pendant que Papa fait la vaisselle de dos.
Tais-toi, tu me déconcentres.

J’ai froid aux fesses quand il faut vérifier.
Je me sens mourir et partir, quand je ne peux plus me retenir, et qu’il faut aller aux toilettes.
Y a pas de porte, chez Raphaëlle.
On n’a pas la paix, aux toilettes.
On n’a pas la paix, dans la douche.
On ne peut pas s’essuyer sans que Papa regarde.

Maman a tout découvert.
C’est devenu l’enfer.
Papa niait. Moi je m’enfonçais.
Maman voulait partir et trahir.
Maman a fini par mourir.

J’ai fermé les clés, de ma petite prison.
C’est l’arrivée de mon petit garçon,
qui m’a fait péter le cadenas.
J’ai dit tout haut ce qu’il y avait tout au fond de moi.

Je ne suis plus une anonyme,
Je n’ai presque plus peur.
Je m’appelle Raphaëlle, j’ai 29 ans, et je suis sortie du déni.

Merci la vie.

(Merci à Andréa, Clémentine, Anne-Lucie, pour leur soutien, et action. )