Raphaëlle, l’une des lectrices/contributrices du blog, parce que ça l’a beaucoup aidée, a suggéré l’idée de partager avec vous ce que l’on entend par « mémoire traumatique ».
Lors de leur premier rendez-vous, un médecin lui a décrit exactement ce qu’elle subissait, ce qu’elle ressentait. Elle en a pleuré de soulagement, et relit régulièrement l’explication des symptômes, que peut provoquer la mémoire traumatique, quand les passages à vide se présentent.
Elle a sélectionné pour nous, sur le site du Dr Muriel Salmona, le passage qui la soutient le plus.
Merci à elle !
D’autre infos sur le site www.memoiretraumatique.org
Mémoire traumatique :
La mémoire traumatique des violences, implicite, inconsciente, émotionnelle, est piégée dans les amygdales, elle va être à l’origine d’un circuit de peur conditionnée, véritable « bombe à retardement » prête à exploser à l’occasion de tout stimulus sensoriel, cénesthésique, algique, contextuel en lien avec les traumatismes subis et qui va « allumer » à chaque fois une amygdale hypersensible, puisque le cortex et l’hippocampe ne peuvent rien moduler (pas d’information ni de souvenir précis disponible).
L’amygdale va alors transmettre des informations « fantômes » au cortex, des réminiscences (flash-back, images), qui peuvent donner l’impression de revivre les violences, mais aussi des sensations, des pensées, des émotions, toujours liées aux violences mais sans repères de temps ni d’espace, et donc incompréhensibles. En même temps l’amygdale va activer les réponses émotionnelles du stress (axes HHS et SNA) avec pour résultat une grande souffrance psychique et une sensation de danger imminent, déclenchant à nouveau la même détresse, les mêmes terreurs que lors des violences : angoisses, détresse, attaques de panique. La vie devient un terrain miné, avec un sentiment d’insécurité permanent.
Pour échapper à ces réminiscences terribles et à cette souffrance, la victime traumatisée qui n’est pas prise en charge ni protégée va mettre en place des stratégies de survie et d’auto-traitement qui comporteront des conduites de contrôle et d’évitement :
– des conduites de contrôle accompagnées d’une d’hypervigilance avec une sensation de danger permanent, de méfiance et d’état d’alerte, d’importants troubles du sommeil, une tension musculaire douloureuse, des troubles de la concentration et de l’attention (le psychisme est focalisé essentiellement sur des activités de surveillance et d’anticipation).
– des conduites d’évitement destinées à éviter l’allumage de l’amygdale et le déclenchement de la mémoire traumatique, en évitant tout ce qui est susceptible de rappeler les violences (situations, pensées, sensations…). Ces conduites d’évitement sont à l’origine d’un retrait social et affectif, de phobies, d’obsessions, d’une peur de tout changement, d’intolérance au stress, de troubles du sommeil et de troubles cognitifs.
Et quand malgré les conduites de contrôles et d’évitement la mémoire traumatique se déclenche et envahit le psychisme de la victime elle entraîne la même sidération, la même détresse, le même état de stress dépassé, le même risque vital que lors du traumatisme initial.
Souvent la disjonction spontanée ne peut plus se produire en raison de phénomènes de tolérance et d’accoutumance aux drogues du cerveau, et un auto-traitement se met alors en place pour obtenir une disjonction provoquée, il s’agit de conduites dissociantes. Il peut s’agir de déconnexion « douce » sans mise en danger avec des techniques d’auto-hypnose par exemple, ou bien de conduites dissociantes « dures » à risque.
– conduites dissociantes à risque :
Quand les conduites d’évitement sont mises en échec malgré tout, l’amygdale s’allume, la mémoire traumatique se déclenche avec sa souffrance et sa détresse extrême. Dans ce cas, souvent, seules des conduites dissociantes, conduites d’auto-traitement dont on a fait le plus souvent par hasard l’expérience de leur efficacité, peuvent calmer la détresse.
Il s’agit de redéclencher la disjonction initiale pour obtenir un état d’anesthésie affective et physique et une dissociation. Pour provoquer le déclenchement d’une disjonction afin d’obtenir une anesthésie émotionnelle et physique il existe plusieurs solutions possibles :
* soit le niveau de stress est tellement élevé qu’il provoque un court-circuitage et une disjonction spontanée entraînant une dissociation et une anesthésie émotionnelle et physique.
* soit la disjonction spontanée ne se fait pas en raison de phénomènes de tolérance et d’accoutumance aux drogues du cerveau, et un auto-traitement se met alors en place pour obtenir une disjonction provoquée.
Pour l’obtenir il existe plusieurs possibilités :
– soit recourir à une aggravation du stress par des conduites dangereuses, à risque (ex. automutilations), des amphétamines, des violences agies ou subies (dissociation provoquée + analgésie)
– soit recourir à la prise directe de drogues dissociantes, alcool, psychotropes à hautes doses (dissociation provoquée + analgésie).
La disjonction provoquée s’obtient donc :
* soit par augmentation de la sécrétion des drogues dissociantes endogènes (les neuro-transmetteurs morphine-like et kétamine-like) par le cerveau en augmentant le niveau de stress ou de douleur par des conduites à risque, des mises en danger, des violences agies ou subies.
* soit par adjonction de drogues dissociantes externes : alcool, drogues.
Les psychotraumatismes sont à l’origine de consommation d’alcool chez 52 % des hommes et 28 % des femmes et de consommation d’autres substances psychoactives chez 35 % des hommes et 27 % des femmes.
Il s’agit de recréer l’état de dissociation et d’anesthésie vécu lors du traumatisme, solution transitoire efficace mais qui à moyen terme va s’avérer catastrophique (car ces solutions renforcent la mémoire traumatique amygdalienne et font perdurer et augmenter tous les symptômes liés à la déconnexion : troubles de la mémoire, mémoire traumatique, troubles de la personnalité, vulnérabilité au stress, image de soi très négative….).
Il existe donc deux manières de recréer cet état de dissociation :
* par le survoltage : il faut augmenter le niveau de stress, soit par des conduites dangereuses qui reproduisent le traumatisme initial, soit par des conduites auto-agressives (se faire mal, automutilations, se mettre en danger), soit par des conduites hétéro-agressives (système agresseur)?.
* par un effet “déconnexion-like”, en utilisant des drogues à effet dissociant, alcool, cannabis et hallucinogènes (effet antagonistes de la NMDA), héroïne (effet sur les récepteurs opiacés endogènes) ou psychostimulants (effet de stress extrême par augmentation des catécholamines, l’anorexie produit le même effet).
Ces troubles psychotraumatiques sont à l’origine d’une dissociation entraînant une anesthésie émotionnelle accompagnée de troubles de la conscience (sentiment d’irréalité, d’être spectateur de la scène violente, de dépersonnalisation, absences), d’une mémoire traumatique, véritable bombe à retardement, avec des réminiscences intrusives faisant revivre sans fin les violences avec la même souffrance et la même détresse, d’une hypervigilance, de **conduites de contrôle et d’évitements et de conduites à risques, qui sont des stratégies efficaces mais très handicapantes pour échapper à la mémoire traumatique.
Ils sont aussi à l’origine de troubles cognitifs, de troubles du comportement, de l’alimentation, du sommeil et de la personnalité.
Ce sont des conséquences normales et spécifiques de violences traumatiques. Ils entraînent une souffrance psychique très importante. Ces mécanismes et leurs conséquences expliquent les symptômes psychotraumatiques et les troubles du comportement des victimes, qui paraissent souvent totalement incompréhensibles à l’entourage, aux professionnels qui les prennent en charge et aux victimes elles-mêmes.
Ces symptômes peuvent être résumés ainsi :
* mises en danger, minimisation et banalisation de certaines violences sexuelles (du fait de l’analgésie), incapacité de dénoncer durablement les agresseurs (père, conjoint) vis à vis desquels les victimes développent une dépendance. Paradoxalement elles peuvent dans un premier temps se sentir mieux (en fait plus dissociées) avec leur agresseur que mises à l’abri (ce qui les expose au réminiscences), renonçant donc à les quitter.
* réminiscences (qui peuvent se présenter comme des hallucinations), phénomènes de dissociation (avec le sentiment d’être étranger à soi-même), conduites d’évitement (qui peuvent devenir totalement envahissantes), tentatives « d’autotraitement » que représentent les conduites dissociantes : conduites addictives, conduites à risque et conduites auto-agressives (incompréhensibles et culpabilisantes) donnent à la victime le sentiment d’être folle, nulle, incapable, imbécile, perverse… sentiment savamment entretenu par l’agresseur…
Il est indispensable de rassurer les victimes, de leur redonner une dignité en leur expliquant les mécanismes des psychotraumatismes et en leur expliquant que ce sont des réactions normales aux situations anormales que sont les violences.
AUTEUR : Dr Muriel Salmona
Pour en savoir plus, cf l’article de Muriel Salmona avec bibliographie dans, La mémoire traumatique in L’aide-mémoire en Psychotraumatologie, Paris, Dunod, 2008.