Juste avant le mouvement #meetooinceste, j’ai reçu le roman de Chantal Vervaet, « Rideau », édité chez l’Harmattan.
Un récit qui nous invite à découvrir la vie d’une femme qui vit comme elle peut, et où l’autrice guide le lecteur jusqu’à comprendre pourquoi…
Chantal a accepté de répondre à quelques questions et c’est avec plaisir que je partage ses réponses avec vous.

On sent dans votre écriture que vous vous êtes particulièrement bien renseignée sur les effets que peut déclencher le fait d’avoir été victime de violences sexuelles. Vous m’avez confié que cette histoire n’est pas la vôtre. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire une histoire incluant un personnage ayant été violé enfant ?

Je suis très flattée que vous me disiez ça, parce qu’en fait je n’ai fait aucune recherche sur le sujet avant d’écrire ce roman. Simplement, je suis quelqu’un d’introverti dont la tendance à l’introspection a comme effet rebond de l’inciter à s’intéresser aussi au ressenti des autres. J’écoute plus que je ne parle. Il faut croire que je n’ai pas trop mal entendu…

RIDEAU n’est pas le genre de livre qu’on écrit à 20 ans. C’est le résultat d’un bon paquet d’années de réflexions. « Tout malheur est grand à qui n’en a pas connu de pire », comme le dis ma narratrice, mais baser son histoire sur une peccadille aurait incité plus à la moquerie qu’à la compassion et à l’exercice philosophique (garanti sans mots ronflants ; je rassure ceux que ce mot fait fuir). Pour espérer remuer tout lecteur qui tomberait sur ce livre, j’ai choisi de partir de quelque chose dont personne ne puisse nier la gravité, quelque chose d’odieux aux yeux de n’importe qui de normalement constitué.

Était-ce important pour vous de traiter cette thématique et pourquoi ?

Pour inciter le lecteur à se pencher sur ce que la vie nous réserve et ce qu’on en tire ou non, je voulais quelque chose qu’on a tendance à taire, à garder pour soi en pensant se protéger mais en se pourrissant ainsi la vie de l’intérieur. C’est forcément le genre de problème largement sous-estimé, mais là, je dois dire que j’ai été effarée en découvrant l’ampleur du phénomène. Conscientiser ceux qui y ont échappé me semble donc fondamental. Sans prise de conscience on ne peut pas espérer que la situation s’améliore.

Dès la première page, les lecteur.trice.s savent que la narratrice est décédée. Avec elle, nous allons remonter le cours de sa vie en avançant dans la lecture. Comment réagissent vos lecteur.trice.s à cette proposition de narration qui rend quasiment « obligatoire » le fait de relire l’ouvrage une deuxième fois, avec tous les éléments en tête ?

C’est comme dans un épisode de Columbo, le cadavre est là dès le début. La question n’est pas de savoir comment cela va finir mais pourquoi. Le fait qu’on parle de ce livre ici privera malheureusement celles et ceux que cette interview aura convaincus de le lire d’une bonne part de l’effet de surprise. Il leur restera l’équivalent d’une seconde lecture.

En effet, la dernière ligne à peine lue, certains éprouvent l’envie de recommencer à la première page. La seconde lecture leur révèle tout ce qui leur avait échappé à la première. Des comportements qui nous semblent incompréhensibles s’éclairent quand on connait le vécu des gens, ce qui modifie le jugement qu’on porte sur eux. C’est précisément un des messages que je voulais transmettre.

D’autres se contentent toutefois d’une seule lecture et passent rapidement à la suite de leur PAL (Pile à Lire, dans le jargon d’aujourd’hui). Chacun est libre, bien sûr, de lire comme il l’entend, mais si ce roman est court, ce n’est pas pour qu’il soit vite refermé et oublié. Si le texte a été réduit à l’essentiel c’est pour laisser toute la place aux souvenirs, aux regrets, aux craintes, aux rêves du lecteur. C’est pour que ce dernier puisse plus facilement se glisser dans la peau des personnages, entrer en résonance avec la narratrice, qu’il n’y quasiment aucune description, par exemple. J’invite donc tout le monde à savourer la substantifique moelle de ce roman en prenant à chaque page le temps de la réflexion personnelle. Il se révèlera alors beaucoup plus long que prévu !

Vous m’avez confié que vous seriez comblée si votre ouvrage pouvait se révéler utile d’une façon ou d’une autre. Pourquoi est-ce important pour vous qu’il le soit ? Comment imaginez-vous qu’il puisse être utilisé ?

Comme je vous l’ai dit, ce roman est le fruit de nombreuses années de réflexions. Réfléchir sur la vie, la sienne en particulier, c’est bien, mais ce qui est fait est fait. On ne peut pas revenir en arrière. Que ce que la vie nous a appris puisse servir à quelqu’un qui est encore au début de la sienne lui donne un sens. Tout le monde peut expérimenter le fait que se sentir utile est bon pour le moral. Aussi bizarre que cela puisse paraître, altruisme et égoïsme se rejoignent donc parfois !

J’invite les visiteurs de votre blog à lire ce livre pour eux même, dans un premier temps, et ensuite à en offrir un exemplaire ou en suggérer la lecture à des connaissances sans leur en dire plus afin qu’ils le reçoivent comme un choc, un électrochoc…   

Merci beaucoup Chantal !