La proposition de ce blog, qui consiste à encourager les victimes d’inceste, de pédophilie, à oser briser le silence pour que le tabou tombe, pour qu’ensemble nous changions le futur, a déjà « interpellé » de nombreuses personnes.

Touchés par cette démarche, plusieurs thérapeutes ont salué cette initiative, je cite, « positive et courageuse ». C’est tout naturellement que je leur ai proposé, s’ils le souhaitaient, d’intervenir également sur ce blog, motivée par l’idée que cela permettrait aux victimes d’avoir le plus d’informations possibles, d’informations utiles, pour les accompagner sur le chemin (souvent long) de reconnexion à SA vie.

Aujourd’hui, c’est avec plaisir que j’échange avec Laëtitia Decque. Art-thérapeute certifiée. Adhérente à la Ligue Professionnelle des Art-Thérapeutes (LPAT).
Convaincue que l’art-thérapie peut soutenir le chemin de reconstruction de soi sur lequel les victimes, de violences sexuelles pendant l’enfance, avancent (luttent) dans leur vie quotidienne, Laëtitia a accepté de répondre à mes questions.

  • Comment l’art-thérapie peut-elle être utile aux victimes d’inceste ou de pédophilie ?

Le chemin que parcourent les victimes de violences sexuelles pendant l’enfance est un chemin de reconstruction de soi. Chaque histoire est unique et le parcours de chacun·e pour cette reconstruction de soi est singulier. Les raisons pour lesquelles les victimes décident de consulter un professionnel du soin psychique (psychologue, psychothérapeute, psychanalyste…) sont souvent liées à une souffrance ou une difficulté rencontrée dans leur vie d’adulte. Ce chemin de victime de violences sexuelles passe par un besoin de reconnaissance, reconnaissance d’avoir été victime et reconnaissance de soi en tant qu’être vivant qui existe comme sujet. Ce travail sur soi qu’engagent certaines victimes tend vers ce but d’exister après cet anéantissement dans lequel les ont plongeés les violences sexuelles subies enfant. C’est pourquoi une thérapie verbale est profitable et chacun·e choisit la forme de thérapie qui lui correspond. S’engager dans une thérapie n’est pas sans réveiller des émotions fortes et un accompagnement par l’art-thérapie en parallèle peut à ces victimes.

  • L’art-thérapie est souvent peu ou mal connue, quelle définition en donneriez-vous ?

L’art-thérapie est une forme de thérapie qui est quasiment non-verbale. C’est un soin sur indication médicale qui vient en accompagnement d’un travail qui passe par la parole. Ce qui est fait et dit en séance n’est ni interprété ni jugé par l’art-thérapeute car ce n’est pas sa fonction. Il s’agit d’une technique qui s’appuie sur les capacités créatrices et les forces psychiques de la personne, au travers de la relation établie avec l’art-thérapeute. Il n’est absolument pas nécessaire d’avoir des compétences artistiques pour bénéficier de l’art-thérapie car il n’est pas question de réaliser une œuvre artistique.

  • Quel est le but d’une « art-thérapie » ?

Il s’agit, pour la personne qui vient consulter, de se dire autrement qu’avec des mots quand les mots manquent et de s’explorer au moyen de son imaginaire de manière poétique. Faire appel à l’imaginaire poétique de la personne sollicite ses fantasmes et lui permet d’explorer son désir singulier au sens large du terme désir. Le désir est ce qui nous constitue tous en tant qu’humain et nous permet d’être : nos envies profondes qui font de chacun·e un être singulier et sous-tendent chaque domaine de notre vie. Ce processus en jeu dans un suivi art-thérapeutique peut venir soutenir le chemin de reconstruction de soi que parcourent les victimes de violences sexuelles.

  • Comment se passe une séance ?

Pendant une séance d’art-thérapie la personne vient déposer ses émotions et sentiments quels qu’ils soient. Cela permet aux victimes de traumatismes d’exprimer et de déposer ce qu’ils ressentent et d’accéder aux émotions et sentiments qui ont été réprimés et/ou refoulés.
Le corps est sollicité par cette mise en action : les mains, par exemple.
Les paroles de l’art-thérapeute en séance ne sont pas des injonctions à faire quelque chose de précis avec ses mains mais des invitations à un voyage poétique, des ouvertures à explorer. C’est donc la personne qui décide ce qu’elle fait de ses mains et de son corps à partir de ces ouvertures poétiques et non l’art-thérapeute. Ce n’est pas anodin pour les victimes de violences sexuelles et cela vient soutenir la réappropriation de son corps.

  • Quel conseil donneriez-vous à une personne qui souhaite s’essayer à l’art-thérapie ?

Chacun·e choisit la thérapie qui lui correspond, c’est pourquoi il me semblait important d’apporter un éclairage sur les aspects de l’art-thérapie (de façon non-exhaustive) afin de peut-être mieux cerner la méthode.
Je conseille toujours, à ceux qui me le demandent, de s’adresser à un art-thérapeute certifié (certification reconnue par l’Etat) et d’en parler avec son médecin, psychologue, psychothérapeute, psychiatre ou psychanalyste, afin de s’assurer que cela ne leur est pas contre-indiqué au moment où elles/ils en sont de leur thérapie verbale. L’art-thérapie est un moment pour soi, pour s’explorer de manière poétique à l’abri de toute intrusion, et faire avec ses difficultés.

Merci infiniment Laëtitia !

Anne Lucie