Je regarde ce formidable documentaire « Enfance volée, chronique d’un déni » et, à l’écoute de ces témoignages tous plus bouleversants les uns que les autres, je me dis que j’ai finalement « eu de la chance »…

J’aurais pu finir délinquante, prostitué, SDF, droguée, alcoolique… comme tant d’autres victimes.

Au lieu de ça, je n’ai à déplorer « que » quelques prises de risques et excès sexuels répétés (sous l’emprise de l’alcool, souvent quand même) durant une grande partie de ma jeunesse, et des difficultés relationnelles (encore permanentes, elles) qui m’ont toujours empêchée d’avoir une quelconque relation amoureuse ou même de pouvoir entretenir une moindre amitié sincère et durable, et qui m’ont aussi occasionné de très nombreuses difficultés professionnelles et sociales…

Mais, malgré cela, j’ai toujours eu un toit sur la tête, un métier (jusqu’à il y a peu) et une « assez bonne » santé physique (à part une hystérectomie, un cancer de la thyroïde et de l’arthrose sévère un peu partout… mais bon… qui n’a jamais eu de soucis de santé ?)

Aucune raison évidente de se plaindre, donc… (vue par l’entourage, du moins…)

Mais dans ce documentaire, c’est surtout le témoignage d’Iéléna qui m’a attristée.
Quand j’ai découvert qu’elle a préféré faire adopter sa fille en pensant que cette petite Luna serait plus heureuse et en sécurité dans une « vraie famille », avec un père et une mère, qu’avec elle, je n’ai pu m’empêcher de penser à ma propre maternité…

Quand j’entends la détresse de cette jeune fille qui s’est sentie contrainte d’abandonner son bébé, je me dis subrepticement que j’ai finalement dû être « vachement balèze » pour avoir le courage de garder et d’élever seule ma fille malgré tout ce que j’avais vécu dans mon enfance et les circonstances dans lesquelles je vivais encore à l’époque de sa naissance…

Pourtant, non !

Me dire cela ne m’apporte aucun réconfort, aucune satisfaction, aucune prétention…

Non, ce qui me taraude toujours, au contraire, c’est la culpabilité que je porte encore à l’égard de ma fille, à l’égard de la vie que je lui ai imposée…

Non, je n’ai vraiment pas le sentiment d’avoir été « balèze » à aucun moment de ma vie.

J’ai juste, comme toutes mes sœurs et tous mes frères de banquise, l’impression d’avoir « survécu » et de m’être laissée emporter au gré d’une pseudo-vie que je ne maîtrise pas, que je ne VIS pas…

Anne-Marie

 

Illustration : Enfance volée chronique d’un déni de Sylvie Meyer