Mes corps :

Depuis peu, lorsque je fais face à des réminiscences, des cauchemars ou de vieilles mémoires, je sens plusieurs corps en moi.

Il y a celui que j’observe et console. Celui qui porte les cicatrices. Celui que j’ai détesté parce qu’il a été colonisé par l’humiliation qu’il a subie. Celui qui a gravé les traces des violences.

Il y a celui qui a survécu, qui, de maladies en douleurs, a fait face et tenter de se tenir droit. Celui-ci a réclamé et obtenu souvent la dignité.

Il y a celui qui tremble et palpite, beau de tous ses émois. Ce corps-là parcoure ma peau et mon cœur. C’est avec lui que je reçois, partage l’existence, l’éprouve, la savoure et l’offre aussi.

Plus subtilement, mon corps spirituel vit de lumière et d’un amour inconditionnel. Lui me relie à un mystère qui souffle une brise éternelle me rendant heureuse.

En découpant mon corps comme des poupées russes, je prends conscience de ceux restés intacts. Protégés, ils redeviennent puissants.

Je peux, maintenant, remercier ceux qui ont absorbé les chocs, les traumas.

Je ne différenciais rien il y a quelques années.

Ressentir les couches qui m’ont dissimulée, comme une mémoire traumatique du corps, m’a permis de lever le voile sur les strates que j’avais isolées.

Emprisonnées et dérobées à ma conscience, tout d’abord, elles se sont révélées en guérissant.

Sous les parts de l’habit éventré de ma chair devenu cuirasse, carcasse amortie, sont restées vierges, les fragments prêts à repousser. Forant, dans la terre, des racines solides.

Enfin libérés, ces morceaux se reconstituent à partir des vestiges encore vibrants de la sève qui persistait en eux.

Aujourd’hui, leur croissance vient doucement raviver ce qui s’était figé et tenait debout.

Il y a tout cela en moi : la mort, la prison, la survie et la liberté, la sensualité, la joie, la vie.

Ma chair en porte les couches qui vont du pire au merveilleux.

Elle fait écho à ma mémoire et à mon âme voyageant avec les mêmes bagages afin de vivre son aventure humaine.

Mon corps mue dans cette ardeur transformatrice.

Il laisse sa peau dévitalisée comme le décor desséché d’un passé révolu.

Tout n’est pas perdu,

Ni pour vous ni pour moi.

Anne Fernandes

Anne Fernandes est l’auteur du livre « De lettres à l’être », que vous pouvez vous procurer ICI et  ICI. Vous pouvez découvrir ICI son interview audio sur ce blog. C’est avec plaisir que nous accueillions ces textes sur le blog, dans la rubrique « L’Or des cicatrices »

Illustration du peintre espagnol XIXe Joachim Sorolla