La pétition lancée lundi 14 mai, par Madeline, Lyes et Le groupe F, demandant au Président de la République de retirer l’article 2 du projet de loi sur les violences sexistes et sexuelles, a recueilli en une journée plus de 100.000 signatures. Si elle n’a pas empêché le vote de cet article, la pétition a permis de rendre visibles celles et ceux qui trouvaient que l’utilisation des termes « atteintes sexuelles avec pénétration » pouvait être très dangereuse et permettre de correctionnaliser le viol, et de le faire passer du statut de crime à celui de délit.
Au nom de ‘La Génération qui parle’, j’ai signé cette pétition.
La loi a été adoptée en première lecture par seulement 115 députés (pour) sur les 144 présents présents dans l’hémicycle… (et 81 pour sur 149 votants pour l’article 2)… C’est combien déjà le nombre de députés à l’assemblée ?… 577…
Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes et qui montrent bien combien ceux à qui nous avons donné le pouvoir de nous représenter se sentent concernés par la protection de l’enfance…
Le mercredi 16 mai au soir, j’ai eu la surprise de découvrir dans la boite email de ‘La Génération qui parle’ une invitation :
« Madame, Monsieur,
Après l’examen à l’Assemblée Nationale du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, Madame Catherine PETIT, Directrice de Cabinet et Monsieur Thomas BRISSON, Directeur-adjoint de Cabinet de Madame la ministre, Marlène SCHIAPPA, vous convient à une réunion d’information sur ce texte.
Jeudi 17 mai 2018 à 18h00
à l’Hôtel du Petit Monaco
55 rue Saint Dominique
75007 Paris
Ce temps d’échanges sera l’occasion de répondre à toutes les interrogations et inquiétudes que ce projet de loi soulève.
Nous vous remercions de bien vouloir confirmer votre participation par retour de courriel.
Bien cordialement.
Le Secrétariat Particulier de Madame Marlène SCHIAPPA,
Secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes »
Un peu surprise d’abord, j’ai vite envoyé quelques textos à d’autres compagnons militants sur le sujet qui nous anime ici, et j’ai vite compris que certains n’avaient pas été invités ou n’étaient pas disponibles pour se libérer dans un laps de temps aussi court… Je ne pouvais pas ne pas y être, je ne pouvais pas ne pas « représenter » tous celles et ceux qui m’ont accordé leur confiance et confié leurs témoignages… J’ai bousculé tout mon emploi du temps en urgence pour pouvoir être à Paris le lendemain à 18h.
Je fais le choix ici de vous retransmettre en grande partie ce qui s’est dit lors de cette réunion. De fait, cet « article » est un peu long… mais comme je fais partie de ceux qui ont pu y être, je considère qu’il est de mon « devoir » de partager ce moment au plus juste de ce que j’ai vécu.
Nous étions une bonne trentaine réunis dans cette grande salle de réunion, certains se connaissaient de longue date, militants de la première heure, d’autres, comme moi, se présentaient officiellement pour la première fois.
Madame Petit a proposé un tour de présentation pour que chacun puisse savoir qui intervenait. Mme Constance BENSUSSAN, Conseillère technique inclusion, égalité femmes hommes et citoyenneté a ouvert ce tour.
Je ne citerai pas tout le monde, au risque de ne pas donner une information exacte… ce que je peux assurer c’est que les structures suivantes étaient présentes :
– L’enfant bleu, enfance maltraitée
– La voix de L’Enfant
– La Fédération Gams
– L’amicale du Nid
– Le monde à travers un regard
– L’association « Parler »
– Le Planning Familial
– La Fondation des femmes
– La Fédération Nationales Solidarité Femmes
– Enfance Majuscule (dont le CR de la réunion est ici)
– Femmes solidaires
– Enfance et Partage
– Coup de Pouce – Protection de l’Enfance
– La Fédération Nationale Solidarité Femmes
… et quelques autres dont je m’excuse de ne pas avoir saisi le nom de la structure, car la table était grande et les voix pas toujours audibles…
Madame la Directrice de Cabinet a introduit le débat et nous a réexpliqué la loi et ses intentions. Elle nous a assuré que c’était pour encore mieux défendre les mineurs de moins de 15 ans et mieux sanctionner leurs auteurs. Autour de moi, avocats et juristes s’envoyaient des coups d’œil qui en disaient long sur le fait qu’ils n’étaient pas d’accord avec cet article de loi…
Nous avons tous écouté très attentivement toute l’explication de texte de cette loi, que le gouvernement est, semble t-il, persuadé d’avoir rédigé dans des « termes qui respectent à la fois l’architecture du droit pénal et ses principes constitutionnels, et conventionnels au niveau européen ».
Il nous est donc proposé de concentrer nos échanges sur le « fameux article 2 qui a suscité beaucoup de débats et beaucoup de fausses informations qui ont circulé »
Madame Petit nous rappelle que cet article est composé de « 3 dispositions qui sont complémentaires et donc indissociables, et qui ne peuvent pas être lues et interprétées les unes séparément des autres et qui forment un dispositif global (…) avec le souci d’une efficacité – que l’on a voulue – immédiate et pour toutes les victimes »
En bref, on nous rappelle les 3 dispositions :
– le seuil de 15 ans, on cite : « lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de 15 ans, la contrainte ou la surprise sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes » ; on nous précise que cette disposition s’inscrit dans un article interprétatif (et à la prononciation de ce mot, je constate que les avocats qui m’entourent trépignent sur leur siège) « qui donne donc au juge des éléments d’interprétation complémentaires qui lui permettent de caractériser plus facilement l’infraction et déduire la contrainte du fait que la victime ait mois de 15 ans » ; pour Madame Petit, qui représente Mme Schiappa, c’est ici une réponse très claire à l’affaire de Pontoise… (et je continue de voir les avocats s’agiter)
– l’aggravation des peines pour atteintes sexuelles (on nous reprécise ce qu’est une atteinte sexuelle : tous les cas d’actes sexuels entre un majeur et un mineur de moins de 15 ans hors agressions sexuelles et hors viol). C’est un délit qui existe déjà, dont les peines sont aggravées en distinguant 2 niveaux de gravité des actes qui peuvent être commis dans ce cas-là :
• une atteinte sexuelle sans pénétration, et la peine passera de 5 ans à 7 ans d’emprisonnement
• une atteinte sexuelle avec pénétration « donc on estime que c’est un acte plus grave » pour lequel la peine doublera à 10 ans d’emprisonnement.
– La qualification d’atteinte sexuelle. « Très concrètement, au cours d’un procès pour viol qu’un majeur a commis sur un mineur de moins de 15 ans (viol aggravé) si les éléments constitutifs du viol n’ont pas pu être établis pendant le procès et si donc les jurys populaires répondent NON à la question de culpabilité pour viol, ce qui entraînait un acquittement du prévenu, désormais, avec cette nouvelle disposition le Président de la cour de cassation aura pour obligation de poser systématiquement la question subsidiaire de qualification en atteinte sexuelle, si le viol n’est pas reconnu. (et là j’entends un avocat chuchoter à un autre : mais ça existait déjà ça). Et si c’est le cas, la peine pour atteinte sexuelle pourra être prononcée immédiatement par la cour dans le but d’éviter un acquittement de l’agresseur.
Madame Petit souhaite souligner un dernier point avant les échanges : La dimension d’efficacité immédiate de ce dispositif global. Elle rappelle que la première disposition s’accroche à un article dit interprétatif et que donc cela signifie que, dès le lendemain de la promulgation de la loi, les juges pourront se saisir de cet article et auront donc la possibilité d’utiliser ce nouvel outil pour juger les affaires en cours. Ce qui signifie donc que pour des faits qui auraient pu être commis il y a 15 ans, une plainte déposée il y a un an, une instruction en cours, dès le lendemain de la promulgation de la loi, le juge pourra utiliser cette première disposition. « On évite donc le problème de la non-rétroactivité de la loi pénale. Cela concernera tous les cas, toutes les victimes » (les avocats qui m’entourent chuchotent de plus en plus fort)
Madame Petit nous invite à la réaction…
Je ne citerai pas les noms des personnes dont je vais relayer ici les propos, le manque de temps m’empêche d’avoir pu leur demander leur autorisation.
Et, avant de partager ici la suite de cette réunion, je tiens à exprimer combien j’ai été touchée par l’impression ressentie que nous, la trentaine d’invités, étions tous quasiment dans le même état d’esprit, tous d’accord avec les propos des uns et des autres, tous en soutien de celle ou de celui qui s’exprimait alors que nous ne nous connaissions pas tous. J’ai eu comme l’impression que nous formions, presque instinctivement, un mur bienveillant face à cet article 2 qu’aucun d’entre nous ne désirait voir rester inscrit dans cette loi…
Une première personne a donc pris la parole :
« Je vous remercie de nous avoir invités, mais la question que je me pose, c’est pourquoi n’avons nous pas été invités avant que cette loi soit présentée à l’Assemblée (…) Notre Président de la République s’était ouvertement et officiellement engagé pour le non-consentement avant 15 ans et malgré l’explication de texte que vous venez de nous faire, je ne vois pas du tout ce qui a motivé un tel retour en arrière (…) je trouve qu’avec cet article on est entrain de nier l’enfant dans ce qu’il a de spécifique »
Madame BENSUSSAN s’est proposée pour répondre à cette première intervention en précisant que, suite aux nombreux débats, c’est cette solution qui a été retenue car c’est celle qui était le plus en accord avec les engagements pris par le Président de la République le 25 novembre 2017.
Une autre personne intervient :
« Ce que l’on demandait c’est une obligation de non-consentement en dessous de 15 ans, et c’était quelque chose d’assez simple à mettre en place »
Une personne ayant fait partie de la mission de réflexion et conseils mandatée par le 1er ministre sur les sujets précités s’étonne que le rapport n’ait pas été transmis automatiquement aux députés et que ceux-ci aient pu se prononcer sur une loi sans prendre connaissance de l’avis des experts engagés dans celui-ci.
Une personne intervient :
« Ce qui me choque le plus c’est que j’ai entendu la Ministre de la Justice dire que nous étions conformes aux conventions européennes… Hors nous ne le sommes pas, je les ai sous les yeux ! La convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, en ce qui concerne le consentement et les mineurs : il n’y en a pas ! « le consentement ne peut être retenu à aucun moment ! Et ensuite l’article D dit : le terme ’enfant’ désigne toutes personnes âgées de moins de 18 ans. Le seuil de 16 ans a été préconisé par la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, ça remonte au 25 octobre 2007(…) Comment dire que nous sommes conformes aux conventions européennes, rien que ça cela pose question. »
« Quand vous dites, et vous l’avez particulièrement souligné, que la première partie de l’article 2 est un article interprétatif … qu’est-ce qui empêchait les magistrats de Pontoise d’interpréter – quand on voit la petite – de dire qu’elle ne pouvait pas être consentante ? »
« Ce texte de loi redonne beaucoup de pouvoir aux magistrats, sans parler du tribunal spécial qui va être créé. C’est à dire que les viols sur enfants seront en bas de ce qui est des crimes. Je crois qu’il faut être un tout petit peu sérieux. Ceux qui ont fait partie de la mission ont été très étonnés de ce qui a été adopté hier (…) Acceptez que l’on soit un peu en colère, fâchés et pas d’accord avec les textes. »
(…)
Un juriste engagé dans une association interroge :
« Est-ce qu’il est encore temps, est-ce qu’on va pouvoir changer quelque chose, parce que si ce n’est pas le cas et si on reste là dessus, cette réunion n’a strictement aucun intérêt (de nombreuses personnes acquiescent) ; si on peut faire quelque chose, si nos idées peuvent vous servir à modifier ce texte qui ne nous satisfait pas, vous l’avez compris, ça peut avoir un intérêt que nous échangions. »
Réponse faite : « Bien-sûr et c’est bien pour cela que vous êtes là » et on nous informe qu’aucun des 80 amendements déposés sur l’article 2 n’étaient en phase avec la volonté du gouvernement notamment concernant applicabilité immédiate et rétroactive.
Le juriste continue :
« Ah ce sujet là, c’est impossible ! Vous le voyez, les avocats réagissent ! Moi je suis enseignant de Droit et je vais être obligé de dire à mes étudiants : tout a changé dans le droit pénal ! ? L’application de la loi telle que vous l’envisagez est impossible car elle aggrave la peine. Vous ne pouvez pas parler de rétroactivité ! »
On nous dit alors qu’il n’a pas été mentionné de rétroactivité possible… (même si nous l’avons tous entendu)
Le juriste continue :
« La nouvelle loi fait une interprétation de la contrainte et de la surprise mais cela ne change strictement rien à l’état actuel du droit. Il y a toute une jurisprudence sur l’interprétation à donner de la contrainte, et là le texte complexifie tout cela en faisant référence à des notions qui sont quasiment similaires. L’abus de vulnérabilité, l’absence de discernement et le consentement, ça revient exactement à la même chose ! C’est la même chose ! C’est un habillage d’une nouvelle définition de la contrainte, mais il n’y a rien des buts poursuivis par Mme Schiappa qui voulait donner un signal civilisationnel, il n’y a rien là-dedans qui change dans la loi actuelle, on est dans le même cas, si ce n’est que l’on va punir plus sévèrement et poursuivre plus les actes qui ne sont pas considérés comme des viols mais qui sont néanmoins des pénétrations sexuelles… Alors là vous allez m’expliquez comment on va faire… et ces actes qui correspondront à des pénétrations sexuelles sans violence, sans contrainte, sans menace, sans surprise, pourront être jugés en correctionnelle ce qui va permettre de faciliter tout le travail des magistrats qui n’auront plus à rechercher de preuves… Donc là il y a une automaticité qui est peut-être inconstitutionnelle et, en réalité, c’est là qu’on s’aperçoit que le but poursuivi c’est de décongestionner les cours d’assises et ce n’est pas acceptable. »
Une autre personne continue :
« Quand je pense que la Tunisie, il y a 6 mois, a adopté une loi où une relation sexuelle avec un mineur de moins de 16 ans c’est un viol ! La Tunisie ! En Tunisie encore, quand un policier ne prend pas une plainte il risque entre 1 et 6 mois de prison ! »
Une autre personne :
« Qu’est-ce qui empêchait ? C’est quoi le risque l’on prenait si l’on inscrivait NON CONSENTEMENT dans la loi ? »
Une autre personne :
« C’est le Conseil d’Etat qui a refusé »
Madame Petit demande à intervenir, ayant été présente aux 12 heures de débat au Conseil d’Etat.
Elle précise que c’est le texte de la mission, pré-citée, qui a été soumis au Conseil d’Etat, ce à quoi il lui est répondu que le texte a été enrichi de propositions non proposées par la mission. Madame Petit dit que le Conseil d’Etat avait relevé au moins 3 points d’inconstitutionnalité. On lui répond que le Conseil d’Etat se base sur une définition du viol de 1960…
(…)
« La mission proposait que l’on se « pose » pour redéfinir dans le calme, comme l’ont fait d’autres pays, les définitions du viol, des atteintes sexuelles, etc…
Une autre proposition de la mission était de regrouper tous les textes concernant les agressions, atteintes et viol sur les mineurs « on en a assez des peines aggravantes, aggravées, et de tout ce qu’on veut en fonction de qui est l’agresseur… L’enfant, il est sujet de droit, il a des droits spécifiques et nous demandions par cette mission que ces textes soient regroupés, comme l’avait demandé le rapporteur spécial des Nations Unies et le Comité des Droits de l’Enfant. »
« Une fois de plus, nous sommes dans la précipitation sur un sujet qui est tabou, sur un sujet si sensible, sur un sujet dont on sait que plus de 85 % des violences sont intrafamiliales et on ne pense pas que l’attitude des magistrats va changer parce qu’on va leur laisser une interprétation plus large ! Il fallait que ce soit une mesure symbolique, à un moment donné il faut dire stop ! »
« On est capable de voter à l’Assemblée Nationale un texte qui dit pas d’accès aux réseaux sociaux pour les mineurs de moins de 15 ans sans l’autorisation des parents, pas d’accès à la pilule sans autorisation des parents avant 15 ans, obligation scolaire jusqu’à 16 ans, pas de permis de conduire avant 18 ans… c’est que l’on considère que l’adolescent jusqu’à 18 ans il a des vulnérabilités… En matières sexuelles ? Non ! Pourquoi est-ce qu’on ne les protège pas ? (…) On considère que ce texte, et apparemment on est nombreux autour de cette table, ne protège pas le mineur ou la mineure de moins de 15 ans »
(…)
Une autre personne intervient :
« J’ai une question et je pense qu’on doit être nombreux et nombreuses à se la poser. On est là parce qu’on a envie avec vous de faire en sorte qu’à la fin cela aille mieux en France pour les enfants victimes de viols. Donc la question c’est : Dans quelle mesure vous êtes ouverts, ou pas, pour qu’il y ait un amendement, un changement sur ce texte. Peut-il évoluer ? Parce que sinon cela ne sert à rien que l’on soit là. Est-ce qu’on peut avoir un terrain d’entente ou pas ? »
D’autres personnes interviennent :
« Oui, c’est cette question qui fait qu’on est tous réunis ici ! »
« Et qu’on veut dialoguer avec vous ! »
« C’est pour ça qu’on a répondu aussi rapidement à votre convocation de cette nuit et que nous sommes venues à la réunion de ce soir »
On nous répond que les amendements qui ont été proposés ne pouvaient pas être pris en compte. Et que la présomption de non consentement est inconstitutionnelle. (Brouhaha ! Les voix s’élèvent et tout le monde parle en même temps..)
« Je sais pas d’où ça sort ! » « Ça, c’est le Conseil d’Etat mais pas le Conseil Constitutionnel ! Il n’a pas donné son avis là-dessus ! »
(…)
Une autre personne intervient :
« Le texte de la mission proposait une nouvelle infraction en partant de l’âge de moins de 15 ans et proposait d’abroger le régime d’atteinte sexuelle. Là-dessus, le Conseil d’Etat s’y oppose en disant vous ne pouvez pas maintenir les 2 infractions… C’est à se demander quel est le projet qui a été soumis au Conseil d’Etat ? »
« La circonstance aggravante (si viol commis sur mineur de moins de 15 ans) est le deuxième point souligné par le Conseil d’Etat, or la mission proposait d’enlever la circonstance aggravante.
Qu’est-ce qui empêchait de repartir du texte de la mission et de le reformuler et qu’est-ce qui empêche de le faire aujourd’hui ? »
Une autre personne intervient :
« Cette atteinte sexuelle avec pénétration mais sans violence, menace, surprise, c’est une nouvelle infraction. Si, si, c’est bien celle avec pénétration qui est punie par 10 ans de prison dans le texte que vous proposez »
Le gouvernement répond que c’était déjà compris dans la définition de l’atteinte sexuelle.
(Brouhaha à nouveau « mais non !») La personne poursuit « Le texte du gouvernement ajoute cette nouvelle infraction qui elle est vraisemblablement inconstitutionnelle, c’est atteinte sexuelle avec pénétration sans violence, menace, surprise ou contrainte ! Alors là je vais vous dire, les magistrats, ils vont s’amuser ! »
J’interviens…
« Comment on va expliquer à une victime qu’en fait c’est juste une atteinte sexuelle, à un enfant, parce qu’il a eu des doigts dans son sexe ou dans son anus, que non c’est pas un viol c’est juste une atteinte sexuelle ? Qui va décider ça puisque c’est interprétatif ? Avant, le viol c’était clair, il y avait pénétration, non ?
Est-ce que vous avez lu le livre d’Adélaïde Bon « La petite fille sur la banquise » – Mme Petit me répond que oui – Elle a compris un jour que c’est un viol et pas une atteinte sexuelle parce qu’il y avait eu pénétration, et aujourd’hui si ce que vous proposez était en place on pourrait douter de ça, elle n’aurait peut-être pas eu son procès pour viol. On aurait pu dire que le monsieur, il était sympa dans l’escalier et que c’était pas sous la contrainte. Et ce qui a sauvé Adélaïde Bon, c’est de se dire « J’ai subi un viol » et aujourd’hui vous enlevez ça aux victimes, même celles qui ne passent pas en justice. On avait juste ça avant, parce que je suis une ancienne victime, de se dire « C’est un viol, je suis matraqué-e de l’intérieur parce que c’est un viol » et aujourd’hui vous nous claquez le doute dans la tête, même si on va pas jusqu’au tribunal, de se dire « Ah bon ? Alors est-ce que c’est juste une atteinte sexuelle avec pénétration ou est-ce que c’est un viol ? Et quand c’est les parents les agresseurs, en plus, imaginez ! »
Madame Petit commence à me répondre : « Oui je comprends au regard de votre parcours… »
J’enchaîne : « Non mais c’est pas Mon parcours ! C’est le parcours de millions de gens ! »
Une personne ajoute : « Oui, au moins 4 millions de personnes en France ! »
Mme Petit m’a répondu que ce n’est pas à la victime de se poser la question, ne comprenant pas que je parlais des victimes qui ne porteront jamais leur affaire en justice par peur de ne pas être reconnues comme telle.
Une personne ajoute :
« Pour les victimes, avant de frapper à la porte du commissariat ou chez un avocat, c’est important qu’elles reconnaissent, dans ces textes, qu’elles sont victimes d’un viol. Quand on parle depuis tout à l’heure de la contrainte, de la surprise, vous savez très bien comme nous tous autour de cette table combien c’est déjà difficile à établir. Avec cet article interprétatif, forcément, on va correctionnaliser. »
Beaucoup de personnes acquiescent.
Une autre personne intervient :
« Le problème qui se pose déjà depuis des années, c’est l’opposition entre le plan psychologique et le plan juridique, et jusqu’à présent le plan psychologique n’intéressait personne. Maintenant, sur le plan juridique, je voudrais vous poser une autre question : Pourquoi est-ce qu’on a jamais parlé de la convention d’Istanbul qui est quand même beaucoup plus protectrice et qui exige un certain nombre de choses de la France. On a d’ailleurs dit tout à l’heure que la France n’était pas conforme aux textes européens. (…)
Pourquoi est-ce qu’on en revient pas, par exemple, à la mission Estrosi, qui parlait de l’emprise au niveau de la définition de l’inceste et de spécificité du crime d’inceste – et cette personne transmet un texte sur la définition de l’emprise pour qu’il soit transmis à Mme Schiappa – (…)
Je suis psychosociologue spécialisée dans les agressions sexuelles. Savez-vous, par exemple, que les syndicats de dentistes aux Etats Unis enseignent aux dentistes comment reconnaître des cicatrices de fellations au fond de la gorge. Quand on dit que l’on ne peut pas envisager l’imprescriptibilité par défaut de preuves, parce que ce sera parole contre parole, c’est faux ! Les cicatrices au fond de la gorge et les IRM F, on voit. Il faudrait établir un protocole qui pourrait, en se basant sur les différentes voix nerveuses par où circulent les vrais souvenirs retrouvés, à l’issue d’une IRM F montrer si la personne a bien été victime de tel-le-s agresseur-e-s. La science avance. »
Mme Petit répond que Flavie Flament l’a prouvé dans un documentaire grand public.
Une personne intervient :
« Est-ce que déjà si on pouvait enlever « pénétration sexuelle », parce ça vraiment c’est incroyable que ce soit marqué ainsi »
Une autre personne :
« Pourquoi faire 2 types de viols ? Un viol grave et un viol pas grave ? »
Une autre personne :
« Pour l’avenir, est-ce que, sur un certain nombre de points que nous venons de soulever, si nous allons voir des Sénateurs et que nous proposons un certain nombre d’amendements, qui vont dans le sens de ce que nous partageons – retirer l’article 2 absolument invraisemblable – qui seront portés par des Sénateurs de tous bords, est-ce que c’est quelque chose que Mmes Schiappa et Belloubet peuvent porter au Sénat ? Parce que c’est ça la question aujourd’hui ! »
Une autre personne intervient :
« Il n’y a absolument rien dans cette loi sur les questions de prévention car un enfant averti en vaut deux. Nous avions clairement pris position contre un seuil d’âge parce que nous considérons que toutes les victimes doivent être protégées de la même façon quelque soit l’âge et c’est pour cela que nous proposions l’inversion de la charge de la preuve. »
Une autre personne complète :
« Comme toutes les associations »
La personne poursuit :
« Je ne vois pas en quoi c’est inconstitutionnel »
Une personne :
« Oui et le Conseil Constitutionnel n’a pas été saisi ! »
Une autre personne :
« Ce qui est absolument essentiel, c’est de garantir la même protection à toutes les personnes mineures. Assurer la même garantie de protection à toute personne mineure est absolument indispensable dans le cadre de cette loi, et surtout éviter la correctionnalisation quand il y a non-volonté de ce rapport sexuel. »
Mme Petit affirme qu’il lui semble que nous sommes absolument tous d’accord.
Une personne répond :
« Pas sur le texte aujourd’hui. »
J’interviens :
« On comprend bien votre intention qui consiste à vouloir éviter que les violeurs soient acquittés et qu’ils ne partent pas dans la nature, et nous sommes d’accord sur le principe qu’il vaut mieux que les agresseurs soient au moins reconnus coupables d’atteintes sexuelles au lieu d’être simplement acquittés en cas de procès pour viol. Mais le fait de rajouter noir sur blanc « avec pénétration » concernant les atteintes sexuelles, c’est forcément donner à la défense des agresseurs et aux magistrats de la matière contre la victime qui va de nouveau devoir prouver pourquoi elle considère qu’elle a bien été violée et non « simplement » agressée. La défense va forcément s’engouffrer là-dedans « Ce n’est pas un viol messieurs dames c’était une atteinte sexuelle avec pénétration » ! On en reparlera… Je penserai à vous sincèrement, j’aurai vos visages devant mes yeux le jour où cela passera aux informations, qu’il y aura quelqu’un qui sera condamné pour avoir violé un petit garçon ou une petite fille et que ça passera en atteinte sexuelle avec pénétration. Votre volonté est très claire mais le texte n’est pas pensé pour le système qui juge actuellement ce genre d’affaires. »
Une personne intervient :
« En tous cas le signe fort qui était souhaité par la ministre, il n’est absolument pas là. »
D’autres personnes :
« Et l’effet est presque inversé même ! »
« Oui absolument ! »
« On banalise l’agression sexuelle avec ce système-là »
« Suite à l’affaire de la petite Angélique, quand l’opinion publique va découvrir que pour les mineurs, quand il y aura eu pénétration, cela ne sera pas correctionnalisé… »
« J’en ai parlé à une journaliste de France 2, elle tombait des nues… »
« Ce n’est pas possible ! »
Mme Petit nous fait remarquer que nous préjugeons de l’attitude des juges.
« Là oui ! » Brouhaha – Rires de toute la salle
« Ça fait 28 ans que je défends les victimes ! Je sais comment ça se passe ! »
Un juriste intervient :
« Le code pénal est d’interprétation stricte et on va donner aux magistrats une loi qui est complètement fumeuse, qui part dans tous les sens et qui est incompréhensible et qui va être inapplicable et ça va avoir pour effet de banaliser les agressions sexuelles sur les mineurs. »
Une autre personne :
« Il y a de nombreuses victimes qui ont déposé plainte qui sont vraiment dans une angoisse très forte que pour une pénétration on considère que ce soit juste une atteinte sexuelle. Lutter contre l’impunité, c’est évident et quelque part l’allongement de la peine pour atteinte sexuelle ça va dans ce sens et c’est bien… mais il y a vraiment une angoisse que ce soit jugé juste comme un délit, comme un vol à l’étalage, et on pense qu’il y a quand même quelque chose à travailler de ce côté-là. Il y a une angoisse réelle du côté des victimes. »
Une autre personne :
« Vous l’avez remarqué, nous sommes un certain nombre d’associations et nous ne sommes pas que des associations de protection de l’Enfance, il y a des associations comme la nôtre qui défendons les femmes victimes de violence et leurs enfants… Néanmoins, il y a un consensus qui existe depuis pas mal d’années sur la protection de l’Enfant dans ce qu’il a de particulier et j’avais imaginé qu’autour de cette loi, en entendant Mme la Ministre et le Président de la République, on pourrait inverser les choses. Je pense qu’on y a vraiment tous cru et nos réactions aujourd’hui sont des réactions de déception, c’est une chose, mais surtout il ne faut pas oublier que ces enfants qui ont été violés, femmes/hommes, adultes de demain, qui vont être fracassés pour un certain nombre d’entre eux, et ces enfants fracassés, nous on les retrouve dans nos associations. C’est quelque chose qui me paraît suffisamment grave et qui hypothèque l’avenir de nos enfants. »
Une autre personne :
« Sans compter la criminalité, la drogue… la liste est longue »
Une autre personne :
« Une dernière observation, nous sommes dans un système européen, qu’est-ce qui fait que la France ne fait pas la même chose que nombre de pays européens qui ont mis en place la présomption de non-consentement ? Et qui ne sont pas condamnés pour autant par La Cour Européenne des Droits de l’Homme. »
Une autre personne :
« Et pourquoi c’est pas inconstitutionnel pour la traite des êtres humains et ça le serait pour d’autres enfants ? On a un problème ! »
(…)
D’autres personnes :
« Et comment ferez-vous fasse au GREVIO ? »
« On va être condamnés ça c’est certain ! Une fois de plus c’est inévitablement. »
« On est à côté de la plaque »
« Est-ce qu’on ne peut pas prendre le temps de dire qu’après réflexion on se pose et on travaille tous ensemble ? »
« On demande le retrait de ce texte qui n’est pas bon sauf pour la prescription à 30 ans »
« Faut le retravailler c’est tout ! »
Mme Petit reprécise que ce projet de loi est un des piliers d’un projet plus global contre les violences sexistes et sexuelles. Ce dispositif global, présenté par le Président de la République le 25 novembre, a pour pilier principal celui de la prévention, que sur les 25 mesures au moins 10 concernent les jeunes, qu’un audit vient d’être demandé à l’Education Nationale à propos du dispositif aujourd’hui en place d’éducation à la sexualité dont les conclusions seront rendues à l’été, des groupes de travail sont mis en place pour réfléchir à la problématique de l’accès des jeunes à la pornographie, ce qui contribue à entretenir les violences qui peuvent s’exercer, que l’objectif du gouvernement est d’abaisser drastiquement le seuil de tolérance de la société face à ces violences et de les faire reculer de manière concrète.
Mme Petit partage aussi que des unités de prise en charge de psychotrauma, suggérées par le Dre Muriel Salmona, vont être mises en place de manière expérimentale au cours de l’année (10 unités), avec notamment le recueil des preuves sans dépôt de plaintes préalables.
Une personne intervient :
« Dans le dispositif de prévention, la France n’aborde pas du tout la possibilité du dépistage précoce des pédophiles, qui est très important pour limiter les passages à l’acte. Ce genre de dispositif permet aux personnes qui ont des pulsions de se présenter pour être prises en charge, avant le passage l’acte pour qu’il n’y ait pas de passage à l’acte. »
Une autre personne :
« Qu’est-ce qui sera fait pour prévenir ? Une campagne de prévention ? »
Les représentantes du gouvernement répondent qu’une campagne de prévention de 4 millions d’euros est prévue en septembre, qu’on n’a jamais mis autant de moyens.
Des réactions suivent, les budgets des Numéros Verts en baisse qui risquent de fermer comme le 119. On nous précise que pour le 119 c’est le ministère de la Santé qui gère… Des remarques fusent dans l‘assemblée pour rappeler que si nous avions un ministère de l’Enfance on aurait pas ces problèmes de savoir qui est le bon interlocuteur.
« Comment on va faire si on est obligé de fermer les numéros d’appels d’urgence le week-end ou la nuit ? C’est inacceptable, quand on sort des textes de loi où on revendique que l’on protège les enfants »
Plusieurs associations en profitent pour préciser qu’au jour du 17 mai (jour de la réunion) elles n’avaient toujours pas vu un centime de leur subvention annuelle accordée par convention…
(…)
Une personne intervient :
« Personne ne doute ici de votre volonté de faire. Il y a ici beaucoup de gens de terrain, des gens qui vous disent que ce que vous avez mis en place n’est pas juste et ne fonctionne pas. Qu’est-ce qui fait que vous allez entendre ? On se demande de quel bonnet vous l’avez sorti pour qu’il y ait autant de gens qui vous disent : il y a une erreur, un problème, il y a quelque chose qui ne va pas. Entendez-le autant que nous vous entendons. Nous ne doutons pas de votre volonté de faire mais entendez qu’il y a là quelque chose qui ne fonctionne pas et qu’on espère vraiment qu’une deuxième lecture va faire que peut-être il y a quelque chose qui va pouvoir être modifié dans ce que nous sommes aujourd’hui en train de voir ensemble et non pas simplement du « voilà on vous explique ». Tout le monde a compris, on n’est pas là pour une explication de texte, on est là pour vous dire qu’il y a quelque chose qui va être tordu. Soyez gentils de nous entendre et de faire en sorte qu’en 2ème lecture quelque chose soit changé. »
Une autre personne :
« C’est possible que quelque chose soit changé ? »
Il nous a été répondu que le texte allait être présenté maintenant au Sénat et que si, à l’occasion de la lecture de ce texte au Sénat, les Sénateurs font des propositions qui peuvent correspondre aux différents critères, notamment celui de l’efficacité immédiate, elles seront examinées avec intérêt…
Fin de discussion, 1h30 s’est écoulée, avec humour, une voix se fait entendre : « Pour le prochain vote, vous nous inviterez avant quand même ! Parce que si on avait eu cette discussion-là avant… »
J’imagine que si vous avez lu jusqu’ici c’est que le sujet vous tient à cœur, j’espère donc que la retranscription partielle de cette réunion vous éclairera, au moins sur certains points.
Je suis heureuse d’avoir pris la décision d’y aller, ne serait-ce que pour pouvoir être le relais de ce qu’il s’est dit et parce que j’ai été profondément touchée de voir toutes ces personnes, de toutes ces différentes structures qui se battent au quotidien pour que les choses changent. Nous sommes tous ensemble, c’est certain !