J’ai 18 ans et environ 6 mois. Je vais chez le médecin car « un peu fatiguée » (Je cumule 3 jobs différents et mes cours à la fac), je demande des vitamines pour m’aider, sans sucre bien sûr.
La médecin me regarde me fait monter sur la balance 3 fois de suite et je vois son visage se décomposer. Après un bel interrogatoire, le diagnostic est posé : « Mademoiselle vous êtes anorexique et dans un état sérieux, vous devez reprendre au minimum 10 kilos pour sortir de l’urgence vitale ». Moi abasourdie, le regard qui fixe le sol, je ne réagis plus.
Elle me parle et moi, me voilà comme toujours repartie dans mes pensées « 10 kilos mais qu’est ce qu’elle veut cette médecin qui n’y comprend rien ? Je ne suis pas en béatitude devant ces filles de magazine, non, moi je veux disparaître, m’enlaidir pour que plus jamais personne ne me touche, pour continuer cette déshumanisation, pour ne plus être la poupée de chiffon, mais elle est folle cette médecin ! »
Je prends les ordonnances, les analyses, et je sors complètement chamboulée.
Pourquoi je ne me supporte pas ainsi ? Pourquoi je vomis ma vie, d’ailleurs quelle vie ? Qu’est ce que j’ai ? Qu’est ce qui me retient ici, ce serait tellement plus facile de ne plus souffrir autant. Mais d’ailleurs pourquoi je souffre ?
Tout ça, depuis mes 6 ans, c’est normal, après tout, ça l’a toujours été, alors pourquoi j’ai l’impression d’être morte de l’intérieur ? Pourquoi je ne me sens pas moi mais divisée en mille morceaux qu’eux m’ont volés ? Voilà le début de ma prise de conscience…
À l’heure actuelle j’ai 29 ans, après des années de psychothérapies en tout genre, un nombre incalculable d’hospitalisations pour anorexie sévère et chronique et SPT (syndrome post traumatique), je me demande si ça n’était pas mieux de vivre dans la semi ignorance…
J’ai été victime d’inceste par un faux « grand père », lui et mes parents étaient pompiers. Cette caserne, ces vestiaires auront été les premiers témoins de la violation de mon insouciance.
La première fois j’ai pleuré, il a « aimé » et m’a dit que je n’étais qu’un bébé.
Je n’ai plus jamais pleuré en étant convaincue que si je pleurais j’étais faible.
C’était normal tout ça après tout, j’avais « beaucoup de chance pour une fillette de 6 ans qu’on m’apprenne toutes ces choses, que c’était pour mon bien et j’aurais dû m’estimer heureuse d’avoir une personne aussi bienveillante envers moi… »
J’ai subi ces viols, ces menaces, ces intimidations jusqu’à mes 12 ans (date où je suis tombée malade, personne n’aime les sacs d’os), à croire que j’avais tort ou que ce personnage immonde gros puant et rempli de tâches de cambouis avait ses propres goûts…
De nouveau, dans la famille, une pièce rajoutée arrive. On le présente à toute la famille ce « monsieur bien sous tous rapports », une situation excellente dans une grande banque. Oh il fallait faire attention, paraître bien devant ce monsieur ! Seulement la condition sociale n’est en aucun cas un facteur de sécurité…
Je me demande encore aujourd’hui s’ils n’avaient pas raison, si je ne faisais pas quelque chose de mal qui les ont forcés à « m’éduquer » ou si c’est noté en gros sur mon front… car oui tout a recommencé avec cet autre homme….
Aujourd’hui, je me souviens de ses colères froides, de ses menaces, et bien sûr sa bible avec des versets à apprendre par cœur, pour expier mes péchés ou pour justifier ses viols, lui très chrétien moi complètement athée. Je crois que, petit à petit, mon âme est partie et mon esprit a éparpillé ces horribles souvenirs au plus profond de mon être, ces souvenirs enfouis comme un poison mortel à libération lente.
Ces hommes m’ont volé mon enfance, mon adolescence, ma vie de jeune fille et ma future vie de femme.
Comment recoller de minuscules morceaux de mon être bien soigneusement ancrés pour diffuser leur poison ?
L’innocence, je ne connais pas, l’insouciance, je ne connais pas, la sécurité, je ne connais pas.
La peur, je connais, la terreur, je connais, les ombres des ténèbres, je connais, les cauchemars, je connais.
Aujourd’hui ma vie ? J’essaie de récupérer ces petits morceaux de poison pour les arracher de mon corps. L’anorexie, les thérapies, et les hospitalisations font toujours partie de mon quotidien. Les cauchemars sont toujours aussi terribles. Ils ont finalement détruit ma vie et moi maintenant j’essaie de soigner les maux par les mots, pour un jour avoir le courage d’espérer en un avenir.
Une victime parmi tant d’autres…
Tout cela est sans nom. Terrible…
J’aimerais -pour vous- qu’aujourd’hui, seulement aujourd’hui vous ayez pu vivre une belle chose. Une toute petite chose qui vous ai fait -vraiment- du bien.
J’aimerais -pour vous – que demain, seulement demain vous puissiez vivre une autre petite chose, toute petite mais qui fera -vraiment- du bien.
J’aimerais – pour vous- qu’après-demain, seulement après-demain vous viviez encore une petite chose, plus si petite que ça qui vous ferait du bien.
J’aimerais pour vous que vous goûtiez à la vie. Par petites touches… pas trop… tout doucement… un grain de sucre après un grain de sucre.
Malgré tout cela, tout ce que vous décrivez, pouvoir apprendre le goût d la vie. Et puis… un jour… pouvoir la savourer.
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Il y a quelque chose d’inhumain dans la vie, dans toutes les vies, sûrement pas autant que dans la votre.
Prenez un galet, par exemple. Au départ c’est un caillou arraché à la roche, en montagne, ou sur le littoral, il est anguleux, à vif, c’est un éclat.
Le torrent, la rivière, le fleuve, le charrient où les autres cailloux lui donnent des coups ; il roule, elle roule si c’est une pierre et pas un caillou 😉 et à chaque petit ou grand choc sa surface se polit et elle finit sur un rivage froid à coté d’autres qui comme elle, comme lui, ont subi cette machine à laver, l’existence. Elles et ils sont tout.e.s arrondi.e.s et froid.e.s .
Dans votre main, humaine, elle se réchauffe, et bientôt elle vous rend cette chaleur douce comme sa surface. Mais elle ne sera jamais vous, elle sera toujours une pierre éclatée, roulée. La chaleur c’est la votre à portée de main.
Ne croyez-vous pas que l’inhumanité de ces hommes, le déni qu’ils en ont fait ne vous appartient pas, qu’il faut vous en détacher, et ne vous occuper que de ce qui vous traverse vous, qui est à votre taille. Cela je crois que c’est possible.
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