Mié Kohiyama est journaliste. Après avoir écrit « Le petit vélo blanc » (sous le pseudo de Cécile B. aux éditions Calmann-Lévy), premier témoignage écrit en France sur l’amnésie traumatique, où elle dénonce des viols par un cousin éloigné quand elle avait 5 ans, elle fut la première à oser porter l’affaire prescrite jusqu’en Cour de cassation pour tenter de revoir les délais de prescription et milite depuis très activement pour que les choses changent.

Porter plainte malgré la prescription, sortir de l’anonymat et oser incarner le combat, les points essentiels à changer dans la loi pour mieux protéger les générations futures…
Mie a eu la gentillesse de trouver le temps pour répondre à 4 de mes questions ! A lire et à faire circuler sans modération !

Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire ton histoire ?

J’ai commencé à écrire « Le petit vélo blanc » au moment où nous étions en procédure devant la Cour de cassation. Il y avait de fortes chances pour que notre demande soit rejetée et donc que les viols que j’ai subis enfant ne soient jamais jugés. Les souvenirs de ces viols me sont remontés brutalement en 2009, soit 32 ans après les faits. J’ai été victime, comme 40% des enfants violés d’une amnésie traumatique. Mon cerveau avait en quelque sorte enfoui au plus profond de mon inconscient ces viols. Et lorsque la justice a décrété que les faits étaient définitivement prescrits, que mon agresseur ne serait jamais jugé, ce mur de déni était insupportable. Je voulais donc inscrire dans la pierre ce que j’avais subi à défaut d’une reconnaissance judiciaire. Je souhaitais aussi partager, expliquer, être une de ces voix qui en racontant l’horreur et l’impact de viols sur un enfant participe à lever le tabou et à, espère-t-on un jour, aboutir au recul de cette criminalité rampante. Je souhaitais enfin que mon livre soit un lieu d’expression multiple. Je donne notamment la parole à différentes victimes, à des psychiatres, à des magistrats, à des enquêteurs, etc… Car c’est toute une chaîne de responsables qui doit s’impliquer dans ce combat crucial contre les violences sexuelles.

Porter plainte malgré la prescription, pourquoi as-tu pris cette décision ?

Etant donnée la violence avec laquelle ont ressurgi à ma conscience les viols, cela me paraissait impossible qu’il n’y ait aucune réponse judiciaire. Certes je savais que les faits étaient prescrits. J’ai d’abord demandé à ma mère, tant j’étais terrorisée à l’époque, de signaler les faits à la justice. Puis un service d’enquête m’a convoquée en vue d’un dépôt de plainte. Ce qu’il faut savoir c’est que même si les faits sont prescrits, tout citoyen a le droit de déposer plainte. J’espérais à l’époque, à défaut de procès, au moins une confrontation avec mon agresseur. Elle n’a pas eu lieu. Il l’a refusée ce qui était son droit car juridiquement il n’était qu’auditionné en tant que témoin. Un refus que de mon côté j’ai évidemment vécu très difficilement. C’est par la suite en rencontrant mon avocat Me Gilles-Jean Portejoie que nous avons décidé d’attaquer la décision de non-lieu jusqu’en cour de Cassation en vue de faire connaître à l’opinion publique la question de l’amnésie traumatique et également souligner la nécessité de revoir les délais de prescription. L’idée bien sûr était d’obtenir gain de cause pour qu’une instruction soit ouverte et que d’autres victimes comme il y en a souvent dans ces histoires soient révélées. Cela n’a pas été le cas mais nous avons apporté notre pierre à ce combat.

Quand et pourquoi as-tu décidé de sortir de l’anonymat ?

C’est en tout début d’année, que j’ai décidé d’apparaître en nom propre. J’ai mené toute une réflexion qui a abouti au fait de me dire que ces combats avaient besoin d’être incarnés par des personnages réels. Des personnes connues comme Andréa Bescond ou Flavie Flament ont très bien su mettre leur notoriété au service de cette cause. Mais je pense que des victimes anonymes comme moi devraient également le faire, pour montrer symboliquement que toute une armée d’ombres, abusées dans l’enfance ou longtemps victimes de peur ou d’emprise sont susceptibles de raconter les choses en pleine lumière. Et c’est à ce seul prix que les crimes pédophilies reculeront vraiment en France. Une de mes thérapeutes m’avait d’ailleurs un jour dit : « votre plus grande victoire (sur votre agresseur) c’est d’être en vie et de parler ». Au tout début de mon affaire, sous le coup d’un syndrome de stress post-traumatique lié à la sortie de l’amnésie, j’étais bien trop fragile et terrorisée. J’avais besoin de me protéger tout en donnant toutes les forces que je possédais pour mener à bien la procédure et la médiatisation. Au fur et à mesure de mes progrès thérapeutiques, d’un certain apaisement et de grands soutiens de la part de mes amis entre autres, j’ai trouvé le courage de le faire. C’est tout un chemin. Chacun doit faire selon son rythme et sa volonté. Aujourd’hui, je pense qu’il est totalement juste pour moi d’en être là. Je n’ai plus honte.

Pour toi, concernant la loi, quels sont les points essentiels qui doivent évoluer et pourquoi ?

Concernant les viols sur mineurs, il est nécessaire que notre pays s’oriente vers l’imprescriptibilité. Ce serait le choix d’une société moderne comme l’ont fait le Royaume Uni, la Suisse et certains Etats américains. On nous rétorque que ce choix est contraire à la Constitution mais je pense que c’est avant tout une question de volonté politique. L’opinion publique, elle, ne comprend pas que des viols sur mineurs soient prescrits. Ce serait un signal fort contre les agresseurs et pour la protection des générations actuelles et futures, la loi n’étant pas rétroactive.
Il est également indispensable de légiférer sur la question de l’âge du consentement légal et de le fixer à 15 ans minimum. L’affaire de la petite Sarah a profondément bouleversé l’opinion. Il est insupportable de penser qu’en France un juge peut potentiellement déclarer consentant un enfant âgé de 6 à 15 ans.
Enfin, il serait important d’introduire l’amnésie traumatique dans la loi en reconnaissant la notion d’obstacle insurmontable. C’est-à-dire en faisant partir les délais à partir de la prise de conscience des faits. Cela permettrait à de futures victimes de déposer plainte et d’avoir une chance de voir juger leur agresseur, ce qui n’a pas été mon cas.

Merci infiniment Mié !

Anne Lucie