LES FAITS
Les faits remontent aux années 60, à Marseille.
Pendant plusieurs années mon frère (né en 1959) et moi (né en 1955) avons reçu les samedis soir des coups de ceinture. Cela n’arrivait pas tous les samedis soir mais c’était fréquent, je dirais une semaine sur deux ou trois.
La raison, vaguement évoquée, était de mauvaises notes hebdomadaires de conduite dans le collège de jésuites où nous étions en classes primaires. Mais je ne me souviens pas avoir pu établir une liaison claire entre cette punition à froid et une cause comprise et établie.
La séance était soigneusement mise en scène, avec toujours le même protocole ; les mêmes acteurs Chantal et Guy, mes parents ; les mêmes pions, leurs deux fils ainés :
1 Appel par ma mère, souvent mon frère et moi, parfois moi seul,
2 Attente dans une sorte de sas, entre le hall d’entrée et la chambre de mes parents,
3 Ordre donné à l’un d’entrer dans la chambre,
4 Ma mère était toujours la maitresse de cérémonie, debout, raide, commandant « baissez votre pantalon » pour que nous dénudions nos fesses (elle vouvoyait ses enfants),
5 Mon père ouvrait alors l’armoire dont la porte grinçait pour prendre une ceinture noire qu’il pliait en deux,
6 Ma mère donnait son feu vert à mon père « vas-y Guy ! »,
7 Ma mère enjoignait à mon père d’arrêter après cinq ou six coups « ça suffit maintenant ! »,
8 Ma mère ordonnait alors « allez-vous coucher ! »,
9 C’était alors le tour éventuel du suivant qui avait tout entendu et voyait son frère passer en sanglotant,
10 Ma mère venait ensuite consoler ses fils dans leur lit, le pire moment.
J’estime que j’avais autour de 8-10 ans, ce qui signifie que mon frère devait avoir 5 ans et plus.
J’ai toujours gardé un souvenir vif et précis de ces instants, ravivé récemment par l’affaire de Bétharram. Mais le souvenir des coups et de l’humiliation estompait celui du protocole. Ce n’est que très récemment que je me suis interrogé sur la mise en scène elle-même en visionnant le dernier film de Fellini.
POURQUOI CE PROTOCOLE ET CETTE VIOLENCE ?
La violence sur ses enfants aurait-elle déclenché une excitation sexuelle chez Chantal ? Elle prenait un plaisir évident, quasi orgasmique, à battre compulsivement ses chiens (qui portaient des prénoms tels que Hortense ou Nicolas).
Son mot préféré était cravacher !
Pourquoi Guy entrait-il dans ce « jeu » ?
La violence était un mode de communication familial ordinaire, peu de violence physique (sauf les samedis soir), mais une violence verbale et psychologique récurrente.
Le fait d’avoir réservé la violence physique à ces mises en scène m’intrigue particulièrement.
Je me suis interrogé il y a 10 ans sur les causes profondes de la violence de ma mère en explorant systématiquement toutes les hypothèses possibles. Ses parents étaient doux et distants, son enfance semble s’être déroulée sans brutalité. En examinant méthodiquement son parcours et ses réactions, je pense qu’elle a probablement refoulé une homosexualité ou une bisexualité, indicible dans son milieu.
Je ne crois pas que Guy non plus ait été victime de violences dans son enfance, avec un père plutôt mou.
A presque 70 ans je veux mettre ma vie en ordre et régler ce traumatisme, c’est mon devoir vis à vis de mes enfants et petits-enfants, et plus généralement envers tous les enfants maltraités et abusés comme je l’ai été.
Erwan HENRY
Merci Erwan pour ce récit. Effectivement, après tant de violences et d’années, mettre des pourquoi face à cette histoire est important. Trouver des réponses est moins certain si les auteurs ne peuvent plus ou ne souhaitent pas raconter.
en tout cas la mise en scène dans la chambre est intrigante, à l’opposé de la scène public qu’aurait été la pièce commune. Désastreux.
la violence est un facteur ultra prégnant dans les éducations religieuses, malheureusement…
soutien.
Olivier
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