Comment on commence ? Par le début ? Y’a un début, y’a eu un jour un premier abus qui a tout bouleversé pour les générations suivantes ?

J’ai grandi et commencé à vieillir dans l’ombre de géants héroïques. Quand je racontais un peu ma famille, on me disait souvent : « Wow chacun pourrait être un héros de roman ! ». Y’a des généraux aux faits d’armes magnifiques, un gamin pauvre de 12 ans qui part d’Auvergne à pied pour aller à Bordeaux s’engager sur les bateaux (sans jamais apprendre à nager) qui fera le tour du monde plusieurs fois, deviendra commandant de bord de paquebot prestigieux, sauvera des gens, perdra ses titre pendant la 2ème guerre mondiale, sera réhabilité, mais brisé. Y’a un gamin élevé en pension en Auvergne, qui décevra ses parents en n’étant pas pharmacien en ville, mais polytechnicien et aviateur de guerre, puis ingénieur qui passera sa carrière à sillonner le monde avec une femme dans chaque pays. Un fils de général incontrôlable, qui viré de chez lui a 18 ans sans le bac (honte), s’engage et devient un des premiers aviateur militaire (son père lui écrira qu’il doit abandonner cette arme qui n’a aucun avenir :!). Grand blessé de guerre ( la première guerre mondiale), il crée une usine de matériel médical avec succès, les nazis arrivent en France, il la met en faillite pour éviter la réquisition et reprend un théâtre qu’il transforme en music hall ou les plus grands passeront (les femmes passeront également dans son lit). Yves Montand en fera sa salle préféré, mais il finira avec une dernière maîtresse, en liquidant tout ce qu’il a créé.

Il y a un coup de foudre de mes parents, une mère très brillante, psy spécialisée dans l’enfance, un père qui vit dans un hôtel particulier en ruine à Paris et qui a fait du droit pour fuir le milieu du spectacle mais qui pourtant sera amis avec plusieurs artistes, dont un chanteur très connu (sa sœur sera marraine de la mienne).

Et il y a nous, nous trois, bercés aussi de l’enfance difficile de mes parents, eux ont tellement souffert, maltraités par ma mère, mais c’était pas de sa faute, elle souffrait tellement, et aimé (?) par mon père. 

Oui forcement, il était le gentil, maman lui criait dessus, je voulais me protéger, non ?

A 20 ans, un premier grand amour qui se fini car 2 personnes déséquilibrées ne peuvent être ensemble, alors oui il a raison, il faut se soigner. Psychanalyse de 7 ans, 7 ans de silence mais aussi de petite guérison et un mot qui viendra très souvent mais ne sortira jamais : viol, pourquoi je pense au viol ? Pourquoi mon père se retrouve coller à ce mot quand j’y pense ? Pourquoi j’ai autant de terreur quand je pense à cette partie de mon corps, pourquoi j’ai l’impression de vivre dans un film policier où toute ma famille, moi compris, serait coupable d’un crime atroce, mais lequel ? Et pourquoi personne ne parle ?

Un jour, une crise d’angoisse, j’ai 42 ans, puis deux crises, puis tous les jours, sans raison apparente.

Je consulte, il faut bien. Et un autre jour lors d’une séance alors que ma psy m’a juste demandé : Comment ça va aujourd’hui Laurel ? Je me retrouve à étouffer, quelqu’un derrière moi m’étrangle et je suis en train de m’étouffer pour de vrai, là devant ma psy. Je suis sûr que je deviens folle, malade.

Ma psy m’aide à en sortir. 

La semaine suivante, je suis propulsée à terre, hurlant demandant de l’aide, quelqu’un est sur moi, pendant de long mois, ce flash back revient j’ai honte, honte de ne pas pouvoir contrôler ça, je vais un jour mettre un nom : mon père, plusieurs fois mon père.

Ma mère a su, toujours, ma mère m’a hurlé dessus lorsqu’elle a surpris mon père. Les flash back me font remonter à une période très très précoce. 

Voilà, la suite est vraiment classique, on va me demander de parler à mes parents, ceux-ci vont du jour au lendemain cesser de me parler, puis de parler à mes enfants. Je vais commencer à oser parler, mes parents vont alors m’écrire deux messages très froids. J’ai aidé beaucoup mes parents, dans leurs si nombreuses crises, dans leurs peines, j’étais là. J’étais à partir de mes 20 ans l’enfant sur lequel ils pouvaient compter, qu’ils couvraient de remerciements… En un mois je suis devenu une paria, une folle, un truc qui dérange.

En un mois je suis devenue orpheline de parents encore vivants, et cela fait 3 ans à présent.

Une autre famille se construit et j’ai une chance inouïe, je vis, je vis pour 3 êtres incroyables qui sont mes petits, je me bats pour que cette histoire de héros qui n’est finalement qu’une succession d’enfants incestés, maltraités, en survie, s’arrête avec moi, pour que mes petits soient libre… La liberté pour moi n’a aucun prix, même si parfois j’ai bien envie de finir ma vie pour être totalement libérée…

Laurel