Hier, j’ai quitté ma mère.

Ma mère était mon tout, elle était mon modèle, elle était ma douceur, mon point de repère, elle était la maman que beaucoup de mes copines voulaient.

Hier, j’ai quitté ma mère.

Quand j’ai eu 17 ans, après une énième nuit de cauchemar, j’ai profité de l’absence de mon père pour descendre dans la chambre de ma maman, m’asseoir en tremblant de la tête au pied en prenant soin de ne pas allumer la lumière pour me donner de la force et je lui ai dit à demi-mot l’horreur que mon père m’avait fait vivre. Elle m’a écouté, elle a tremblé, je crois même qu’elle a pleuré, et puis mon père est rentré le lendemain. Et la vie a repris son cours. Rien ne s’est passé.

Hier, j’ai quitté ma mère.

A l’âge de 36 ans, j’ai vécu ce que beaucoup définissent comme le plus beau jour de leur vie, leur mariage. Mon mariage a été beau, très beau, mais il a surtout été le jour de ma renaissance. Une renaissance douloureuse. Parce qu’au lendemain de mon mariage, j’ai pu regarder mon mari et mes sœurs dans les yeux et prononcer les mots ‘traumatisme’, ‘viol’, ‘abus sexuel’, ‘papa’. Et la vie a été bousculée.

Hier, j’ai quitté ma mère.

Depuis mon mariage, j’ai tout essayé. J’ai parlé, j’ai beaucoup parlé, avec des mots crus, avec des mots doux, avec mes maux. Je l’ai supplié, j’ai pleuré, j’ai parlé doucement, j’ai insulté, j’ai donné du temps, j’ai discuté, j’ai échangé ; et j’ai attendu. J’ai tout entendu, des mots d’amour, des mots de haine, des mots de maman, des mots d’amante, de mots d’enfant, beaucoup de maux ; et j’ai attendu.

Hier, j’ai quitté ma mère.

Ma mère était mon tout, et elle était aussi ma souffrance. Elle m’aime et m’aimeras peut-être toujours, mais elle l’aime plus, lui. Elle n’a jamais pu choisir entre lui et moi alors j’ai dû choisir pour nous.

Hier, j’ai quitté ma mère et je ne la reverrais plus. C’est la décision la plus difficile, la plus douloureuse et la plus salvatrice de ma vie. Ce matin au réveil, je me suis regardée dans le miroir, une larme a coulée, je me suis trouvée belle, et mes enfants m’ont appelé pour jouer. Et la vie a repris son cours.

Adèle.