Recevoir un témoignage à publier sur ce blog est toujours émouvant.
Cette femme courageuse, qui pour l’instant a décidé de rester anonyme, m’a également envoyé l’enregistrement audio de son témoignage. Elle offre ainsi sa voix et vient renforcer les rangs des activistes que nous sommes, tous et toutes, en décidant de dire, d’écrire, de chanter, de danser notre histoire ! Merci !
Pour écouter le témoignage 👉 https://soundcloud.com/lgqp-web-radio/temoignage-prescription
Prescription
Tout va bien. J’aime ma vie, Je n’ai pas de gros problème en ce moment. Je suis bien.
Aujourd’hui, j’étais dans la salle d’attente du vétérinaire et je regardais mon portable. J’ai vu la campagne sur les réseaux sociaux où les victimes de pédocriminalité se prennent en photo avec : leur prénom, « violée à l’âge de …» , « x années d’amnésie traumatique » ..et les # stop pédocriminalité et imprescribilité.
J’ai trouvé ça génial. C’est comme l’association « Colosse aux pieds d’argile », je me suis dit. C’est vraiment super, ces victimes qui se battent, s’unissent, luttent, parlent. C’est courageux et fort.
Et puis en rentrant chez moi, j’ai pleuré soudainement très très fort. Parce que moi aussi je voulais être Andréa Bescond ou Anne Lucie de La Génération qui parle. Parce que moi aussi je voulais agir et faire partie d’un groupe de victimes qui relèvent la tête.
Mais moi, je ne peux pas. Ou je crois que je ne peux pas. Parce que ma famille en souffrirait et ne l’accepterait pas. Parce que mon agresseur était un membre de ma famille. C’est mon oncle, l’auteur des attouchements et des exhibitions que j’ai subis. ( Le mot attouchements ne me convient pas du tout parce qu’il veut dire caresse légère . Seulement je n’en ai pas trouvé d’autre. ) Pendant mon enfance. Je dirais de 5 à 7 ans. Je dirais ça comme ça. Peut-être avant, peut-être après.
Je ne crois pas, moi, avoir souffert d’amnésie traumatique. Je crois que j’ai toujours bien su ce qui m’arrivait, puis ce qui m’était arrivé. Mais je n’en sais rien après tout. Peut-être qu’il y a eu d’autres épisodes que j’ai oubliés. Je n’espère pas ; je ne sais comment je pourrais supporter que d’autres souvenirs s’ajoutent à ceux-là.
Dans le courrier du Procureur de la République, de 2005, suite à mon dépôt de plainte, il est écrit :
« J’ai le regret de vous faire savoir que votre plainte contre Machin Truc pour agressions sexuelles a été classée sans suite compte tenu de la prescription des faits que vous lui reprochez ». Putain, vous avez le regret… Ben moi aussi j’ai le regret, croyez-moi. Combien de temps j’ai attendu cette lettre en plus ? Un an ? Et le jour de ma déposition, on m’avait donné une brochure « Police info n°5 » avec des exemples de peines encourues pour une victime mineure de moins de 15 ans. Dans la colonne « Abus sexuels (autres que le viol) » (oui, parce que je voyais bien son sexe, qu’il masturbait en me touchant et me regardant, mais je pense avoir eu la chance qu’il ne m’ait pas pénétrée), à la ligne « Par parent ou personne ayant autorité », il est écrit « 10 ans de prison – 1000000 F d’amende » . Dire qu’en attendant votre réponse, je me suis torturée en me disant qu’un homme allait sûrement aller en prison à cause de moi. Que ce serait lourd pour moi d’endosser une telle responsabilité : priver quelqu’un de liberté ! Mais bon là, heureusement, vous avez le regret.
La lettre continue : « La loi ne me permet en effet pas de donner une suite juridique aux faits que vous avez dénoncés en raison de leur ancienneté au regard du moment où vous avez déposé plainte. » – Ah d’accord, la loi c’est ça. Ok.
« Je vous indiquerai néanmoins que Machin Truc a intégralement reconnu les faits dans les termes où vous les aviez présentés. » – Ah d’accord ! Bon, vous avez bien fait de le laisser repartir chez lui peinard alors. Faute avouée est à moitié pardonnée ! Mais non, que dis-je, à moitié ? Complètement même !
« Si vous deviez cependant ne pas partager mon point de vue quant à ce classement sans suite » – comment ? Ah non, non, t’inquiète, je comprends très bien ! Après, on sait qu’il y a eu d’autres victimes aussi, c’est avéré, mais non t’inquiète, je comprends ! « il vous est loisible de mettre vous-même l’action publique en mouvement, à vos risques et périls » Ah ben ça va, on se sent soutenu ! – « en vous constituant partie civile devant le doyen des juges d’instruction, ou bien en saisissant directement la juridiction de jugement compétente, après avoir sollicité, le cas échéant, le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de ma considération distinguée » – oui, c’est ça, moi de même, bisous !
Voilà, maintenant que j’ai écrit ça, je comprends pourquoi j’ai pleuré comme ça tout à l’heure. C’est vrai qu’il y a de quoi pleurer. Et aujourd’hui, c’est à moi de rester anonyme ou silencieuse pour ne pas blesser, exposer ma famille, pour ne pas faire fuir les gens, pour que personne ne me tourne le dos. C’est vrai qu’il y a de quoi pleurer.
Merci à toutes les victimes qui s’engagent et s’affirment. Et bravo. Un jour, je serai comme vous.
Merci de tout ce courageux témoignage
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C’est à pleurer, oui…😥
#StopPrescription !
Solidarité avec vous ! 🙏💚
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