Le consentement

Avril 2017. Un homme de 28 ans pénètre une petite fille de 11 ans. Une plainte pour viol est déposée. L’affaire est jugée par le tribunal de Pontoise, qui fait état de
« non-viol ». Il qualifie les faits de « simple atteinte sexuelle » tant il est démontré que la jeune fille ne s’est pas débattue. L’acte n’a pas été commis sous la menace, la violence et la contrainte.

Il y a donc eu consentement ?

Alors que la parole se libère, que les mots sortent et que les maux d’enfants s’expriment enfin, la notion du consentement s’invite dans le débat. Alors que le tabou de la pédophilie s’effrite, se trouve malmené, qu’on tente de le faire tomber de son piédestal, alors que le tabou se fragilise, la question du consentement interroge l’enfant sur son envie, dans cette relation sexuelle avec l’adulte.

Alors ? Et moi ? Etais-je consentante ?

Je me rappelle.

Je suis une petite fille. Je croise cet homme dans le hall de mon immeuble. Il doit avoir une quarantaine d’années. Moi j’en ai huit.

Il monte avec moi dans l’ascenseur. Il me parle, très gentiment. Me complimente. Il me trouve jolie. Il m’emmène dans ses histoires, m’invite à un goûter chez ma professeur de danse, au dix-huitième étage de ma tour. Tiens, je ne savais pas qu’elle habitait juste au-dessus ? Et comment pourrait-elle être déjà chez elle ? Je viens juste de la quitter, il y a cinq minutes, à la salle de danse. Mon cours vient de se terminer. Je ne relève pas. Il me perd entre le dix-huitième et le dix- septième étage.

Je me rappelle l’incompréhension qui monte, les incohérences, la fascination, le trouble. Je me rappelle la sidération.

Je me rappelle, l’espace qui se délite entre le dix-huitième et le dix-septième étage, les murs de la cage d’escalier qui s’écartent et s’effacent. Je me rappelle la sensation de trou béant, de vide abyssal. Et puis je me rappelle les murs qui se rapprochent, qui se resserrent, se referment sur moi. Je me rappelle le gris, le sale, le mal éclairé.

Je ne peux plus bouger. Je reste là. Sans me débattre. Consentante. L’homme me parle, gentiment, toujours gentiment. Il me demande d’enlever ma culotte. Je suis une marionnette. J’obéis. Je ne sais plus ce que je fais. Je ne m’appartiens plus. Il sort un couteau de son pantalon. Non, ce n’est pas un couteau. C’est son sexe, brandi, érigé, durci. Je me rappelle la peur qui s’invite, la peur qu’il me tue. J’ai huit ans. Je n’ai jamais vu un sexe d’homme en érection, en vrai. C’est énorme. C’est menaçant. C’est terrifiant. C’est fascinant. C’est la première fois.

Mes yeux s’écarquillent.
Il parle gentiment. Il demande. Jamais ne menace.
Je suis médusée, pétrifiée, en proie à des sensations inconnues, envoûtantes,

dérangeantes, troublantes. Il demande et j’obéis. Je répète les phrases salaces qu’il met dans ma bouche, qui durcissent son membre à vue d’œil. J’ai la tête qui se vide. Je ne suis plus qu’un objet entre ses mains. Je ne sais pas ce qui se passe ici, entre le dix-huitième et le dix-septième étage. J’assiste à la scène dans l’incompréhension la plus totale. Je suis à peine là. Je ne suis qu’un objet, une poupée entre ses mains.

Tout l’espace, tout mon corps se remplissent de mots obscènes et d’images de sexe caressé et gigotant. Il me demande des gestes, des positions, des mots. J’obéis, je consens, je fais tout ce qu’il veut. J’assiste et je joue dans un bien étrange spectacle. Je répète les phrases, en boucle. J’imprime ces phrases à vie.

Mécaniquement, j’obéis, je consens.
Je n’existe plus. Lui, il s’excite.
Je ne comprends pas ces mots qui sortent de ma bouche. Depuis quarante ans, je les entends, tout le temps.
 Il enfonce sa main en moi, fouille au plus profond de moi, sans menace, sans violence, sans contrainte. Je ne sais plus où j’en suis. Je suis tétanisée, incapable du moindre mouvement. Je n’ai plus de mots, plus de voix. Il ne me fait pas mal, il ne va pas trop loin. Je ne m’appartiens plus. Je suis consentante. Je ne peux plus bouger.

Et puis un sursaut, une sorte de décharge électrique, dans ma tête, dans mon corps. Je me réveille d’un drôle de coma. Je me relève. Je me rhabille. Je me sauve. Il ne me retient pas. Il me laisse partir.

Trop tard. J’ai consenti.

Eléonore