C’est l’histoire…
Pour planter non pas des choux mais le décor, j’ai une sœur aînée, à demi mais qu’importe, c’est ma sœur ; un père, qui carbure aux cigarettes et à l’alcool, qui se met sur le canapé à la fraction de seconde où il rentre du travail ; une mère bienveillante et aimante qui fait tout à la maison. On vit dans une jolie maison justement avec un jardin, un chien et un cochon d’Inde. J’ai 6 ans, peut-être 7, et je ne sais pas encore que l’orage gronde…
Du jour au lendemain, la maison devient un appartement… inconnu avec… des meubles connus, eux (ceux de la maison !)… et nous voilà, ma mère et moi dans notre nouveau « chez nous ». Mon père et ma sœur vivent désormais chez ma grand-mère paternelle et je les verrai un week-end sur deux, un mercredi sur deux, et la moitié des vacances scolaires.
Ma grand-mère maternelle est très présente, avec les meilleures intentions du monde mais étouffante pour ma mère… Ma mère, qui a besoin d’air, se lie alors d’amitié avec un couple de parents d’élèves de l’école primaire dans laquelle je vais, ils ont 4 enfants dont un fils de mon âge.
… d’une petite fille…
De fil en aiguille, nous fréquentons de plus en plus cette famille et nous voyons de moins en moins ma grand-mère, qui se rend compte de l’emprise qui s’installe et du piège qui se referme petit à petit… Emprise de cette mère de famille sur la mienne ; ma mère fragilisée par le divorce et les harcèlements téléphoniques à toute heure du jour et de la nuit de mon père. Emprise qui se matérialise psychologiquement : je ne peux plus approcher ma mère sans avoir systématiquement la mère de l’autre famille qui répond « qu’est-ce qu’elle veut ? » ou « qu’est-ce qu’elle dit ? » quand elle me voit arriver… Elle est accrochée à ma mère comme une moule à son rocher, ce qui fera que je repars à chaque fois en me disant « c’est pas à toi que je voulais parler, c’est à ma mère ! »… Emprise qui se matérialise aussi financièrement par le compte bancaire de ma mère, pompé par la famille Dragon (comme les appelle ma meilleure amie avec qui je ferai connaissance l’année de mes 30 ans) et compte en banque qui diminue à vitesse vertigineuse, pendant que le père Dragon et ses 2 plus jeunes fils abusent de moi, sur une période qui s’étend de mes 7 à 11 ou peut-être 12 ans, je ne sais plus ; chacun indépendamment les uns des autres… Chacun avec sa façon de faire…
… murée dans le silence…
Le père me bloque avec un bras et, avec son autre main, pratique des attouchements par-dessus mes vêtements en me frottant fort l’entre-jambe. Le plus jeune des fils commence en se déshabillant et en me montrant son… anatomie à diverses reprises ; au fil du temps, il pratique également des attouchements, me frappe, m’humilie, m’insulte, me fait nombre de coups en douce. L’adolescent commence la toute première fois par me faire mettre en bouche son… organe reproducteur, je n’ai qu’une trouille : qu’il urine à ce moment-là ! Juste avant moi, il en fera aussi « profiter » la petite-fille de leurs voisins de palier, c’est la seule fois où nous serons 2 victimes ensemble, mais c’est déjà une fois de trop. Une autre fois, il s’offre un plaisir (presque) solitaire en me prenant la main et en la mettant sur son… organe reproducteur (bis) en me disant « Je vais te montrer un truc… Tu dis rien hein… C’est quelque chose que peuvent pas faire les filles ! ». Et de nombreuses fois, ce sont des viols par voie « arrière », où je me retrouve allongée à même le carrelage (exception faite d’une fois où il me prendra par surprise…. dans la chambre de ma mère… sans que je l’entende arriver…!), à ne rien pouvoir faire d’autre que lui demander d’arrêter et à attendre qu’il ait fini et qu’il décide de mettre fin au supplice quand bon lui semble… Le rapport de force est perdu d’avance, il a 5 ou 6 ans de plus que moi… Presque le double de mon âge à l’époque ! Une fois, il tente par la voie avant… A de nombreuses reprises aussi, il est assis derrière moi et je me retrouve avec sa main puis sa tête (et sa langue) entre mes jambes… Jusqu’au jour où il s’étonnera de mon évolution corporelle… « Tu as des poils ?!? » et tout s’arrêtera comme par magie ou miracle…
… la peur et la culpabilité…
En primaire, j’avais une trouille bleue… Tomber enceinte… Ma mère comprendrait… Tout le monde comprendrait et… Tout le monde saurait… Culpabilité quand tu nous tiens ! On ne m’avait pas encore expliqué qu’une étape était nécessaire pour que « ça » arrive… jusqu’au jour où une copine est arrivée à l’école et nous a parlé de ce que sa mère lui avait expliqué… Les règles… Je me souviens lui avoir dit « Et tant qu’on n’a pas ça, on peut pas avoir d’enfant ? ». Elle m’a répondu que non… Ouffffffffff, soulagement intérieur… ! Le secret serait donc bien gardé, bien que ces actes et ce secret me fassent vraiment et tellement horreur…!
… investie d’une mission : protéger…
Eh oui… Comme beaucoup d’enfants victimes, je n’ai rien dit… Pas à ce moment-là en tout cas… Ma grand-mère m’avait investie d’une « mission » après le divorce de mes parents… Elle me répétait souvent « il faut protéger ta mère, il faut pas lui attirer de problèmes… ». Ma mère, que je voyais faire des chutes de tension et tomber à mes pieds à cause de l’emprise de la famille Dragon. Ma mère que je ne pouvais pas relever parce que j’étais trop petite. Ma mère qui un soir n’arrêtait pas de dormir… J’ai décroché le téléphone, appelé et donné l’alerte à… la mère Dragon… Elle est venue et a appelé les secours… Quelques jours après, elle passait un savon à ma mère… comme si elle avait 5 ans et qu’elle avait fait une grosse bêtise…
Petit à petit, on dort chez eux, on ne rentre plus chez nous. Je dors dans un lit de camp installé dans la chambre de leur fille, ado elle aussi mais un peu plus âgée que l’ado Dragon. Je l’aime bien leur fille. Elle fait de la danse, elle me fait des tresses africaines, des fois elle m’emmène avec elle selon ce qu’elle fait. Quand elle est là, je suis tranquille. Alors non, je n’ai rien dit. Et oui, j’ai protégé ma mère du haut de mes 7 ans, puis mes 8 ans, puis mes 9 ans, puis mes 10 ans, puis mes 11 ans… Et me voilà à l’heure du collège ! Par chance, leur fils ne va pas dans le même établissement que moi et une distance commence à s’installer. On habite à nouveau chez nous. Ma mère se rendra compte quelques temps plus tard des abus de confiance de la mère Dragon et mettra un terme à la relation… Les routes de nos familles se séparent ! Enfin !
Pour le travail de ma mère, nous déménageons dans une autre région. Je m’habitue mal… Je ne m’habitue pas en fait… ! Peu de temps après notre arrivée, l’un des salariés de la même entreprise, muté aussi, me prête les VHS de Thelma & Louise et de Sauvez Willy. J’adore les animaux, je m’émeus devant Sauvez Willy, et je découvre dans l’histoire de Thelma que ce n’est pas normal d’obliger quelqu’un à avoir « ce type de rapport », non désiré et non consenti, tandis que, pour je ne sais quelles raisons encore, le personnage de Louise me touche particulièrement… Une chose m’interpelle et résonne en moi : Louise a une vraie aversion pour le Texas et refuse catégoriquement d’y passer quand bien même c’est une question de vie ou de mort… J’ai la même aversion qu’elle pour la région d’origine de mes tortionnaires ! J’ai 13 ans, je ne comprends pas encore toute sa profondeur, tout ce que nous avons en commun, pas encore bien son vécu non plus, je comprends juste que ce que j’ai vécu n’était pas normal ! Je ne sais pas quoi en faire, je suis mal dans ma peau, mal dans mes pompes, je ne sais pas pourquoi, au final mon cerveau oublie à nouveau… Ce mal-être est sans doute dû au changement de région, quoi d’autre ?!?
… qui grandit, reprend conscience puis oublie, puis…
Au lycée, je redouble 2 fois, je ne trouve pas ma place au milieu des élèves qui flirtent, qui découvrent les joies des premières fois : les copains, la beuh… à laquelle je ne touche pas… Je me sens décalée… Complètement décalée… Un garçon une fois me tourne autour, et je ne sais pas pourquoi mais à chaque tentative d’approche et de contact, je suis mal à l’aise, je me fige… Je sens que quelque chose bloque… Je mets un stop. A un moment, tout me revient… Puis tout repart…
A 25 ans, je rêve de théâtre depuis plusieurs années. Je travaille, je peux enfin m’offrir des cours dans un atelier amateur. Je me régale, mais à la fois, le corps bloque… Le cerveau crie, le corps marche à côté, quand toutefois il marche… Une prof dans un autre cours de théâtre me dit un jour, alors que je dois interpréter un personnage qui a été violé « ce qui est bizarre avec toi, c’est que ta tête dit quelque chose et ton corps dit complètement autre chose… Mais tu as une manière très touchante de le dire… ».
Cette scène me fait réaliser que… à travers le personnage, je parle de moi… Elle est moi et je suis elle… Cours trop intense et intensif, sur des sujets qui commencent à se rappeler à moi et qui me font dissocier (terme et mécanisme dont j’apprends l’existence plus tard)… je ne peux pas suivre… Un an après la mutation de ma mère dans une autre région, ma grand-mère était venue vivre avec nous, nous partagions ma chambre, chacune son lit mais la même chambre… Et si jamais je venais à parler dans mon sommeil ?!?
Exit le théâtre, je me dis que je vais essayer la danse pendant 1 an, le temps de trouver un autre cours qui me conviendra mieux.
… qui revit grâce à la danse et des rencontres qui changent une vie !
A ma grande surprise, à la danse, je me régale comme jamais ! C’était il y a 14 ans, initialement je venais pour 1 an et… j’y suis toujours !
J’y ai trouvé une vraie passion, un bien-être, un plaisir que j’ai découvert et dans lequel je m’épanouie. Je me sens à ma place. J’y ai aussi et surtout trouvé une amie, ma meilleure amie aujourd’hui, et un soutien qui ont changé ma vie ! Pour la première fois, j’ai parlé et libéré cette parole ! Ma parole ! Mon amie, c’est ma prof de danse… Et en tant que prof de danse, elle a un peu (même beaucoup) l’habitude d’observer les corps en mouvement pour apporter des corrections à ses élèves… Un jour, elle me regarde droit dans les yeux et me dit « Toi, t’as pas eu de père…! ». Ce jour-là, un déclic ! J’ai senti et ressenti que je pouvais lui faire confiance et lui parler. Grâce à elle et à son « Tu partages ta chambre avec ta grand-mère ?!?!?!? » un jour où on discutait toutes les 2, j’ai déménagé de chez ma mère à 30 ans et j’ai pris un studio pour avoir mon espace à moi. Pourquoi je ne l’ai pas fait avant ? Parce que ma grand-mère me répétait jusque-là que je ne pourrais jamais me mettre chez moi, que sinon à cause de moi, ma mère serait obligée de vendre ses meubles parce qu’elle ne ferait pas face au loyer et aux dépenses de la vie… Grâce au soutien de cette amie, j’ai aussi déposé plainte… après le décès de ma grand-mère… Je ne voulais pas prendre le risque que Mamy fasse de reproches à Maman en découvrant la vérité. J’ai prévenu ma mère avant d’entamer les démarches… Impossible de lui dire de vive voix… Je lui ai écrit… Ma mère est tombée des nues en découvrant le mail mais m’a soutenue. Ma plainte a été classée sans suite 3 ans après son dépôt presque jour pour jour, mais au moins elle existe. Comme m’a dit une asso auprès de laquelle je m’étais renseignée en amont, un agresseur ne fait jamais une seule victime… Je l’ai fait pour moi, mais aussi et surtout pour les autres ! Je ne pouvais plus me taire ! Qui plus est, en cherchant sur les réseaux, j’ai vu qu’ils avaient chacun des filles… Grâce à mon amie toujours et avant de déposer plainte, j’ai entamé une thérapie et j’avance, petit à petit, à mon rythme, avec une main dans la mienne et j’en profite pour la remercier, ma si chère amie, du plus profond de mon cœur parce qu’elle a aussi témoigné au commissariat pour moi !
Et puisque j’en suis aux remerciements, merci aussi à Andréa Bescond que j’ai eu la chance de rencontrer au moment de sa pièce Les Chatouilles ou la Danse de la Colère, que j’ai mis… un bon moment avant d’aller voir mais quelle claque ! Quel parcours ! Wahouuuuu !
Et tout récemment, je voudrais aussi dire un immense merci à Vanessa Aiffe Ceccaldi et son sublime Cache Cache. Merci à toi, Vanessa, pour l’échange qu’on a eu à la sortie de ton spectacle qui m’a profondément touchée (tu le sais Ô combien), merci pour tes mots, pour ta disponibilité et pour ta main dans la mienne ce soir-là juste avant de partir. Tu es un modèle et une vraie source d’inspiration.
Merci à Anne Lucie d’avoir créé et de maintenir cet espace de parole ouvert. On a échangé par écrit quelques fois par le passé. Je t’avais dit que je témoignerais un jour sur ton site, et bien voilà… Nous y sommes, merci à toi aussi et longue vie à La Génération Qui Parle, à ces générations qui parlent tôt ou tard !
Et la dernière mais non la moindre, un immensissime merci à ai[R] qui me fait le non moins immensissime honneur et bonheur d’illustrer mon témoignage avec une magnifique création comme elle sait si bien les faire. Ma sista, définitivement, je suis une inconditionnelle de ton talent, un parmi tous ceux que tu as et crois-moi, ils sont nombreux !
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