Ce 24 février, à Vannes, s’ouvre le second procès de Joël Le Scouarnec pour 299 viols et agressions sexuelles sur des patientes et patients, en majorité mineur.e.s au moment des faits.
Comment a-t-il été possible que, durant plus de 30 ans, cet homme ait pu, presque « librement », agresser plusieurs centaines de personnes ? Pour répondre à cette question, je vous invite à vous procurer sans attendre le libre récit d’une enquête où Marika Mathieu tente de mettre des mots sur ce qui ne se raconte jamais. « Pour comprendre où ça commence, pourquoi ça passe, jusqu’où ça ira si nous continuons ensemble à nourrir l’impunité au lieu de nous dresser contre elle« .
« Cette histoire nous entraîne au cœur de notre surdité, bien au-delà de celle du système judiciaire : il y a eu l’affaire Le Scouarnec, des témoignages, des alertes, des signes, mais sans le « journal » qu’il a lui-même rédigé, relatant minutieusement ses faits et gestes criminels pendant toutes ces années, son procès n’aurait jamais eu lieu.«
Cette surdité, sociétale, individuelle… Ce déni… malheureusement collectif et souvent inconscient, Marika Matthieu nous propose d’aller le rencontrer puisque finalement, il est toujours là, ce déni…
L’Abbé Pierre, l’affaire Bétharram… pour ne citer que deux exemples médiatisés ces derniers temps… Toujours, il y a eu ceux et celles qui ont vu, entendu, et celles et ceux qui ont tu. Celles et ceux qui ont dit et qui n’ont pas été écouté.e.s… Celles et ceux qui n’ont même pas osé raconter puisque notre organisation sociétale du déni est si bien ficelée, via notamment la bonne vielle pratique des procès baillons pour diffamation ! (Cf actualité Bétharram)
Le truc fou est là : S’il n’avait consigné ses agissements dans son journal, malgré au moins 300 victimes sur 30 ans, il n’y aurait pas eu de procés… Voilà qui montre bien comment cet « Impuni » là n’est que la partie émergée de l’iceberg… Cet homme a pu, durant plusieurs décennies de pratique médicale, agresser et violer « tranquillement »… Voilà qui fait mieux comprendre à quel point les viols et les agressions en catimini, au sein de familles, sont invisibilisées et silenciées sans effort. Et combien, il faut un immense courage pour oser dénoncer des violences sexuelles subies quand on se croit être l’unique victime d’un.e agresseur.e…
En 2017, c’est sa voisine de 6 ans qui le dénonce à ses parents, des parents informés sur ces questions, des parents qui ont avec leur fille une éducation où la sensibilisation sur ces sujets n’est pas tabou. Elle sera sa dernière victime. En 2020, il est condamné à 15 ans de prison, reconnu coupable du viol de la petite fille, ainsi que celui d’une nièce, et d’autres agressions sexuelles sur une jeune patiente et une autre nièce. La brèche s’est ouverte grâce aux mots de cette enfant qui a osé parlé et qui a été écoutée… Après 4 ans d’enquête le parquet de Lorient a requis le renvoi de Joël Le Scouarnec devant la cour criminelle du Morbihan pour des viols et agressions sexuelles sur 299 victimes.
Le procès de Mazan concernant l’affaire Pélicot, grâce au courage de Gisèle Pélicot qui a refusé le huit clos, a mis en lumière combien la perversion des hommes est tranquillement pratiquée au sein de notre société, particulièrement dans cette affaire via la soumission chimique. Espérons que le procès de Joël Le Scouarnec, accompagné du livre de Marika Mathieu, mettra en évidence combien notre société est schématisée depuis des siècles pour que les agresseur.e.s agissent en quasi impunité et agressent nos enfants…
Un « Joël Le Scouarnec » est jugé à partir d’aujourd’hui, mais combien passent sous les radars ? Ils/elles ne font pas forcément 300 victimes, mais tranquillement ils agissent car ils/elles se savent protégé.e.s par ce déni collectif que dénonce Marika Mathieu.
Imaginez… Le gars s’est senti tellement en confiance, qu’il a tout consigné dans son journal !! Cela montre bien qu’il savait (au moins intuitivement) qu’il ne serait pas dénoncé… Le livre de Marika Mathieu n’est pas l’histoire de cet homme « C’est l’histoire de celles et ceux qui ne l’ont pas arrêté, et dont les agissements ne feront l’objet d’aucun procès«
En écrivant ce billet, je pense à une amie, violée par son père toute son enfance et son adolescence. Quand elle a révélé son histoire une fois adulte, les adultes de l’époque où elle était enfant ont, pour certains, formulés qu’ils avaient eu des doutes, mais qu’ils s’étaient « raisonnés » car cela ne pouvait pas être possible… Des années après, quand elle a porté plainte contre son père au civil, car il y avait prescription pour le pénal, certains de ces adultes n’ont pas voulu confirmer, au procès, qu’à l’époque leur intuition leur avait dit la vérité… Son père n’a jamais été condamné.
Ces adultes en ne disant pas, en ne signalant pas un doute ressenti, même s’ils ne sont pas coupables d’agressions sur cette femme quand elle était enfant, ont permis que cela ne s’arrête pas, et a posteriori que le coupable ne soit pas condamné…
Au minimum, 160 000 enfants sont victimes chaque année de viols ou d’agressions sexuelles… chaque année ! En 30 ans, cela fait (au minimum) 4,8 millions… En enquêtant sur Le Scouarnec qui a violé et agressé durant 30 ans, 299 ont été identifiées, la cour de Vannes va à partir d’aujourd’hui essayer de leur rendre justice… Ces 299 victimes sont aujourd’hui la partie visible de cet iceberg où sont figées 4,8 millions d’autres vies violées dans l’enfance…
Lire le livre de Marika Mathieu c’est décider d’activer notre capacité d’insurrection face à ce fléau qu’est la pédocriminalité, et de nous connecter à notre capacité sociétale de pouvoir changer l’avenir. Pour que ce changement soit global, il doit être impulsé par des millions de prises de conscience individuelles sur notre pouvoir de dire, d’agir. C’est le courage de Marika Mathieu qui, avec son livre « L’impuni », nous propose de regarder la vérité en face et de conscientiser que la responsabilité, pour enclencher le changement, doit être partagée.
Merci Marika pour cet ouvrage essentiel !!
Découvrez, en cliquant sur la photo, l’interview de Marika dans Télématin, par Flavie Flament.

Marika Matthieu est autrice et réalisatrice. Elle travaille depuis des années sur la libération de la parole. Elle a co-réalisé la série documentaire « Outreau, un cauchemar français » diffusée sur Netflix.
