Je vais poser les mots ici qui me rongent depuis si longtemps. Ça sera mal tourné, mal écrit, mais ça sera dit.
Je suis l’aînée de 11 enfants, j’ai 34 ans.
En 2005, j’ai eu des flashback qui m’ont anéantie, j’ai fait une dépression avec scarification et tentative de suicide.
Je parle de ce que j’ai vécu à « ma mère », elle rit et ne me croit pas. Le coup de grâce pour moi.
Je finis à 15 ans en hôpital psychiatrique pour adultes parce qu’il n’a pas de service pédiatrique. Le psychiatre qui me suit me dit : « Mais mademoiselle faudra faire avec, il y a prescription ».
J’ai 15 ans et ma vie est déjà brisée.
J’ai vécu la violence et l’alcoolisme de mes parents, les viols par un voisin qui a profité d’apéros pour me toucher.
A 16 ans je tombe enceinte, cela m’ancre dans la réalité. L’arrivée de cet enfant qui m’a fait me relever et me battre chaque jour pour son bien être et son bonheur.
En 2018, j’apprends que mon bourreau a fait d’autres victimes. Je sens que je vais sombrer.
C’est de ma faute?! Non, j’ai parlé ! On ne m’a pas écoutée.
Je passe une nuit blanche, à la limite d’aller vomir.
Le matin arrive, je regarde mes enfants, ma vie gâchée, belle seulement grâce à eux. Et si ça avait été eux les nouvelles victimes ?! Je ne peux me taire.
Je vais à la gendarmerie apporter mon témoignage.
Je tombe sur une gendarme géniale avec qui je parle sans filtres, sans détour. A la fin de mon récit, elle me dit : « Ce n’est pas des attouchements que vous avez vécus, ce sont des viols et la loi a changé. La prescription n’est plus d’actualité, vous pouvez porter plainte ». Chose qu’évidemment, je fais.
La procédure est longue. Fin 2019, j’ai une confrontation avec lui, il ne lâche rien, moi non plus… vu que je sais ce que j’ai vécu ! Il rit quand il entend que j’ai failli mourir et finit par me menacer de porter plainte pour diffamation. Qu’il le fasse, je ne mens pas !
Ma sœur aurait, elle aussi, été victime. Je l’apprends là, le lundi avant cette confrontation.
Ma génitrice, reine dans la manipulation et l’apitoiement, s’invente une tentative de viol et nie avoir été au courant. Malheureusement pour elle, les gendarmes ont des textos datant de 2017 où je reviens sur cette affaire. Sa réponse : « De toute façon, t’es comme ton père, t’as tout eu, tout vu »… Depuis, je ne veux plus aucun contact avec cette femme.
Mon père, lui, se soucie juste du fait que j’aurais été dire qu’il travaillait au « noir », plus que de ce qui m’ait arrivé… pareil, rayé de ma vie.
L’affaire sera classée sans suite… 20 ans pour être enfin écoutée, a minima 6 victimes connues, lui libre, et moi qui essaie de me reconstruire comme je peux.
J’ai eu une période noire après la confrontation, quand j’ai vu que sur la plainte il voyait mon adresse, je ne sortais quasiment plus, de peur « qu’il me retrouve ».
J’ai pas une super vie. Aujourd’hui, je ne travaille pas, j’ai du psoriasis dû au stress. Mais, j’ai un mari et des enfants géniaux qui me permettent de garder la tête hors de l’eau et de me battre chaque jour pour lutter contre mes angoisses.
J’ai fait du tri aussi, il ne me reste qu’une de mes sœurs (pas celle qui a été victime), un de mes frères et ma tante. Les seuls qui, en plus de mon mari, m’ont soutenue. Je leur dois beaucoup.
Je souhaiterais de toute mon âme que les choses bougent enfin. Malheureusement, ça n’est qu’un souhait.
Je sais que l’État ne bougera pas plus aujourd’hui qu’il n’a bougé hier…
Elodie
