Je m’appelle Gaelle.
Aujourd’hui je souffle 40 bougies … et depuis plus de 30 ans je n’ai pas l’impression de vivre, mais plutôt de survivre, de donner le change. J’ai un mari, 2 enfants, on me dit « solaire », je ris, je chante sur les réseaux et en public, mais au fond de moi, je ne chante pas, je hurle.
J’avais 9 ans quand le grand frère d’une copine de chorale m’a violée la première fois.
Sa mère, assistante familiale, me gardait les samedis, les mercredis et les vacances scolaires. Enfin non… elle, son mari et leur fille, étaient toujours invités quelque part, c’est lui, seul, qui me gardait. Presque majeur, il avait la confiance de ses parents.
Presque majeur, il avait pleinement conscience de ses actes au contraire de moi qui n’ai absolument pas compris ce qui m’arrivait la première fois. Selon lui c’était « un jeu auquel ON n’avait pas le droit de jouer », si j’en parlais je me ferais disputer. Il savait que ce « jeu » m’avait effrayée car il m’a dit « si tu ne dis rien, je ne recommence pas »
Je n’ai rien dit.
Il a recommencé 15 jours plus tard.
Même regard que je qualifiais de bizarre à l’époque, que je qualifierai de prédateur aujourd’hui. Mêmes mots, mêmes demandes « mets tes bras autour de mon cou et sert fort », « dis mon prénom », mêmes gestes, mêmes sensations douloureuses entre mes jambes et ma vie qui s’éteint.
Pendant 3 ans il a piétiné ce qui faisait de moi une petite fille déjà abîmée par la vie, abandonnée par ses parents, élevée par sa grand mère, sauvage, craintive et qui se voulait invisible.
Mais à l’extérieur, je donnais le change, je chantais ! Ma voix était « un don » selon les gens qui m’écoutaient, je touchais les émotions. Aucun ne savait que par cette voix je hurlais ma douleur, ma solitude et l’emprise de mon violeur sur ma jeune existence.
En lisant d’autres témoignages, je me suis rendue compte qu’ils agissent tous de la même manière, avec un rituel bien rôdé.
Le sien s’accompagnait parfois d’une pratique sexuelle supplémentaire, histoire de m’asservir un peu plus encore.
Ce rituel, je le connaissais et vers 12 ans j’en avais compris la finalité. J’avais tout essayé pour lui échapper : m’évader loin dans ma tête, me cacher dans les WC pendant de longues minutes qui me paraissaient des heures, le frapper, mais il répondait « oui continue, ça m’excite ». La seule chose que je n’avais pas tenté, c’était faire les choses avant qu’il les demande pour arriver le plus vite possible à cette finalité, et qu’enfin il me libère.
Je ne me pardonnerai jamais d’avoir anticipé ses gestes et ses demandes. D’avoir donné avant d’y être physiquement contrainte.
Comment est-ce possible qu’un bourreau puisse à ce point rendre sa victime complice ?
Tous ses actes, toutes mes blessures psychologiques, je les ai rangé dans une boîte bien au fond de ma tête, sans me rendre compte qu’elles pourrissaient d’années en années, jusqu’à ce que mon corps me rappelle à l’ordre : un cancer en 2007.
Ma vie en péril à 23 ans, maman d’un petit garçon d’un an. Mon hématologue, sans connaître mon histoire, m’a dit « souvent un cancer résulte d’un trauma ancien, le corps parle pour le patient ». Elle est tombée tellement juste ! Il m’a fallu lutter pour vivre… ou plutôt continuer de survivre, et ça m’a pris une énergie folle.
Puis lentement, la boîte pourrie au fond de ma tête est revenue me hanter.
J’ai porté plainte en 2019. Pendant 3 ans je n’ai eu aucune nouvelle de cette plainte, mise à part une expertise psychologique avec une « experte » qui m’a fait me sentir coupable : « pourquoi vous ne vous êtes pas plus débattue ? »… « pourquoi lui avoir parlé quand il vous a recontactée il y a 9 ans ? »… parce que oui, il a osé m’envoyer une carte d’anniversaire pour mes 28 ans en me disant qu’il était désolé, mais qu’à l’époque il était amoureux de moi.
Foutaises ! Il n’était ni désolé, ni aveuglé par l’amour à l’époque, il n’était pas un ado, puis jeune adulte juste mal dans sa peau à cause de son bec de lièvre, et cherchant désespérément à être aimé, il était un prédateur. J’ai appris récemment qu’il avait tenté de s’en prendre à l’une de mes amies quand elle avait 12 ans. Elle avait des parents protecteurs, il n’a pas insisté.
Mais une question me hante : de toutes les petite filles confiées à sa mère par les services sociaux, combien ont subi les assauts de mon bourreau ?
Bref, de 2019 à 2022, aucune nouvelle.
Puis le 22 septembre 2022, 20h, un appel de gendarmerie de la côte normande « Monsieur B.B. est en garde à vue suite à votre plainte, il faudrait que vous veniez demain pour une confrontation ».
La petite Gaelle en moi a hurlé que NON ! C’était hors de question !
Mon avocat m’a dit : c’est toujours très utile.
Alors il y a eu confrontation. Il n’a pas nié ce qu’il a qualifié devant les gendarmes de « relations amoureuses », il a susurré mon prénom à chaque fois qu’il me nommait, comme quand il me violait. Il a juré ses grands dieux qu’il n’avait jamais pénétré mon sexe, mais a dit ne plus se souvenir quand il a été question des fellations imposées.
Ça a été comme un coup de poignard pour moi qui n’avait gardé en mémoire que son « ouvre la bouche ». Il a confirmé mes ressentis, mes sensations d’étouffement quand je pense à ce jour dans la cabane du jardin, ou à ce soir sur son canapé. Les images n’ont pas voulues s’imprimer dans ma tête à partir du moment où il a mis son sexe dans ma bouche, mais avec ses mots hésitants lors de la confrontation, il a confirmé ce que je redoutais.
Aujourd’hui je patiente pour savoir ce qu’il adviendra de mon dossier, j’angoisse, j’espère, je sombre, je me relève. J’ai l’impression de marcher sur un fil en attendant de savoir si la justice reconnaîtra les traumatismes profonds qu’il m’a infligé.
Merci de m’avoir lue. Merci à ce site d’exister. Poser des mots, et lire ceux d’autres victimes, ça permet de se sentir un peu moins seule.
Quelques heures après avoir envoyé ce texte, Gaëlle l’a complété…
Je viens d’apprendre que le procureur a classé sans suite pour «infraction insuffisamment caractérisée», malgré les mots de mon agresseur, sa déclaration d’amour, ses hésitations sur les viols devant les gendarmes en confrontation, etc…
Je vais contester avec mon avocat.
Je me rends d’autant plus compte à quel point la justice est larguée, à quel point elle ne comprend pas l’importance et le bouleversement qu’engendre la libertion de la parole, à quel point le temps de l’enfant n’est pas celui de l’adulte.
Je vous avoue être dévastée… mais pas complètement à terre.
Je suis tellement impressionnée par votre courage. Je vous souhaite que le chant puisse muter en un baume au cœur et au corps. Florence
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Merci beaucoup Florence
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Par votre témoignage, Gaëlle, je constate à nouveau que la libération de la parole n’est pas suffisamment entendu par les autorités et que le déni social à ce sujet reste encore très tenace! Y’a de quoi être dévasté! Gardez espoir, le combat continu, vous êtes plus seule à le mener et surtout Merci de nous avoir fait partager ce témoignage si précieux. Je sais combien cela à du être vertigineux… Je vous souhaite le meilleur! prenez bien soin de vous.
Sylvie
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Merci beaucoup
Je garde espoir mais j’ai l’impression que le système judiciaire broie plus qu’il n’aide à la résilience.
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Bravo à toi pour ton témoignage. Bravo pour ton courage. On se retrouve dans nos récits, on est ensemble et moins seule maintenant grâce à ta libération des mots.
Comme toi, je suis solaire …
Comme toi, je chante…
Comme toi, je me bats…
Essaye de garder de la force pour continuer à te battre face à cette justice injuste mais prends soin de toi avant tout.
Pascale.
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Merci Pascale. Je suis très touchée par tes mots
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Quel courage Gaëlle est le vôtre !
Je suis dévasté avec vous de ce classement sans suite.
Je vous adresse toute ma solidarité et ma compassion.
Je réfléchis à porter plainte contre un voisin qui m’a violé enfant.
Tout ce que je lis sur le traitement d’affaires pourtant nettement plus flagrantes que la mienne et pourtant traitées n’importe comment me fait toutefois froid dans le dos…
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Merci Xavier. Je vous adresse tout mon soutien également. Vous savez chaque cas est différent, chaque magistrat aussi alors la bataille judiciaire de l’un ne fait pas celle de l’autre. Demandez-vous d’abord si porter plainte est nécessaire à votre résilience. Si oui, comme moi, faites-le. Ce sera déjà un pas et pour le reste de la procédure malheureusement on n’y peut pas grand chose mais au moins le sac de briques que vous portez sur vos épaules sera déposé entre les mains de quelqu’un d’autre, vous aurez fait votre part.
Et il y’a des recours aux classements sans suite. Je n’ai pas dit mon dernier mot et tant que des recours seront possibles j’irai jusqu’au bout parce que c’est ma vision du chemin de résilience que je veux prendre.
Si de votre côté vous ne vous sentez pas d’affronter les meandres judiciaires ça n’enlèvera rien à votre statut de victime et votre courage. On ne passe pas tous par la justice pour se reconstruire.
Vous êtes courageux quoi que vous choisissiez de faire.
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