Victime d’inceste, d’amnésie traumatique, voici une partie de mon
témoignage.

En 1993, il y a de cela 25 ans, quelques mois après le décès de mon père,
j’ai commencé une thérapie car j’étais sous anxiolytique et que je ne
pouvais plus m’en passer. En prise depuis bien longtemps avec des
angoisses intenses, des crises de panique et la peur des hommes, incapable
de construire et d’avoir une réelle relation avec eux …
Sur les conseils d’une amie, qui sait que je prends des médicaments
plus qu’il n’en faut, et par la suite conseillée, orientée par un
médecin généraliste, je décide de commencer une thérapie car je veux
comprendre pourquoi, je n’arrive pas vraiment à avoir de relation
affective avec les hommes, et surtout afin d’arrêter de prendre des
anxiolytiques.
Cela devenait insupportable et invivable, cette accoutumance
médicamenteuse et ces nombreux symptômes, liés en fait à de très nombreux
traumatismes, je le comprendrais par la suite .

Petit à petit, et au fil de mon histoire et de la thérapie, les souvenirs
ont commencé à remonter à la surface. Je croyais que je devenais folle
tellement c’était terrible et difficile. Je commençais, entre autres, à
ressentir les prémices de la terreur…
Entre chaque séance, les souvenirs revenaient progressivement, mais aussi
de plus en plus fort. Jusqu’à se soir-là, où j’ai revécu dans son
intégralité émotionnelle le premier viol, comme si toutes ces années qui
m’en séparaient n’existaient pas, et que cela se passait vraiment dans l’instant
présent.
Ma vérité, la vérité que j’essayais d’enfouir avec tous ces médicaments
depuis de nombreuses années tellement mes peurs, ma souffrance et mes
angoisses étaient immenses, me revenait .

Au fil de la thérapie, j’ai pu arrêter de prendre des médicaments et
commencer à vivre un peu plus normalement. Notamment, j’ai pu quitter le
domicile dit familial en prenant mon premier appartement, car je vivais
encore avec ma génitrice de mère et la relation était très difficile,
très conflictuelle. Ce fut un très grand soulagement pour moi d’arriver
enfin à faire cette démarche. Cela avait été très difficile de partir de
chez elle.

Je reprenais, grâce à la thérapie, confiance en moi. J’étais enfin entendue, je pouvais enfin exprimer ma souffrance.
Pourtant, j’ai arrêté la thérapie en cours de route et cela au bout de
deux ans et demi. Bien trop difficile de replonger et de devoir affronter
tous ces souvenirs avec les émotions qui vont avec. Je n’étais pas
encore tout à fait  prête. Le petit équilibre que j’avais acquis me
suffisait .
J’ai pu entre temps, rencontrer un jeune homme et vivre une très jolie histoire d’amitié et d’amour. Je pouvais enfin y arriver. J’emménagerais par la suite avec lui .

Pourtant, de nombreuses années plus tard et en 2008, donc 3 ans après le
décès de mon ami, j’ai dû reprendre la thérapie – il y a maintenant 11
ans avec le même thérapeute – car tout me revenait en pleine face.
Stress post-traumatique réactivé puissance mille. Terrible ! Je revivais
tout. Toutes mes peurs, mes terreurs d’enfant revenaient .
J’ai dû affronter à nouveau tous ces souvenirs et ces émotions qui s’y
relient, avec l’écoute, l’engagement et le soutien infaillible de mon
thérapeute .

Les premiers attouchements et agressions sexuelles ont commencé vers mes
3 ans, le premier viol vers mes 4 ans. Je me rappelle de deux viols, bien
que le deuxième reste encore un peu imprécis. S’en
suivra une tentative… Quand j’ai parlé à ma mère à cette période (des attouchements), elle m’a traité de menteuse .

J’ai 50 ans, et depuis mes 26 ans, ma mémoire est sans ombre, bien que
certain souvenir de cette période ne soit pas très précis .Tout est
revenu à la surface avec beaucoup plus de précision dans la deuxième
partie de la thérapie, dans la compréhension, l’intégration, voire
l’acceptation.
J’étais si petite quand ça m’est arrivé que je n’avais pas les mots.
Je ne savais même pas ce que mon géniteur de père m’avait vraiment fait.

Comment mettre le mot viol quand on est un enfant. Impossible de savoir
ce mot .
Sous la violence du choc et n’ayant eu aucune prise en charge au
moment du viol, n’ayant pu verbaliser, et sans que personne n’ait pu
le faire pour moi à cette période, tout a été enfoui, refoulé au plus
profond de ma mémoire : Amnésie traumatique .

Il ma fallu de très nombreuses années de thérapie pour pouvoir enfin
comprendre, assimiler, et mettre des mots sur les abus. Dire le mot
…viol (en 2015).
Mais aussi désamorcer toutes les émotions reliées à ces traumas.
J’allais tellement mal à cette période, dans la deuxième période où
j’ai repris ma thérapie, que mon objectif principal était de retrouver ma
santé. Je m’y suis acharnée bien que cela n’ait pas été facile, avec les
nombreuses rechutes, mais, progressivement je suis sortie de la maladie
bien que ce combat fût long. S’en suivra une longue
convalescence pour ensuite, et au fur et à mesure, me consolider .

C’est un travail sur soi de longue haleine qui demande énormément
d’énergie. Très peu de personne le comprennent.
La parole est essentielle pour se reconstruire, j’ai dû affronter toutes
mes peurs, couper par la suite certains liens toxiques afin de me donner
ce droit d’être qui je suis. Cela a été nécessaire pour ma
reconstruction bien que pas toujours facile .
La colère, quand elle a commençé à se faire sentir, fut un des premiers
signes que ma santé revenait. La colère est une belle énergie de vie, mais j’ai dû apprendre à la canaliser, à mieux la gérer. Pour ne pas en
être submergée. C’est un travail qui se fait par étape, par palier, de
longue haleine.

L’inceste est un crime qui tue en silence. L’emprise et le
dysfonctionnement familial sont un abus de pouvoir puissant pour un
enfant, mais aussi pour l’adulte qu’il est devenu .
Le silence qui entoure l’inceste contribue à bâillonner l’enfant, à le
faire taire .
Cela est difficile de faire entendre sa vérité. Très peu dans la sphère
familiale sont prêts à vouloir entendre cette vérité. Autant dire personne…

Quand j’ai essayé d’en reparler à ma génitrice de mère elle m’a dit
encore une fois…que j’inventais, que c’était dans ma tète. Cela fut
très violent pour moi …
C’est à ce moment-là que j’ai coupé définitivement tout lien avec elle. Tout contact.

Une personne de mon enfance se souvient pourtant du sang ce jour-là et de
la venue du pédiatre qui n’a rien fait pour dénoncer le crime .
Le tabou est puissant. Le tabou est silence envers l’enfant que je
fus. Mais aussi envers l’adulte que je suis devenue .
Ma parole est là pour briser ce tabou en respect à l’enfant que je
fus, je le lui dois. Mais aussi Pour dire que nous pouvons nous
reconstruire même si cela n’est pas toujours évident .
Je pose ma pierre à cet édifice pour que la parole se libère de plus en
plus et que le monde sache les dégâts et l’impact que cela a sur nos
vies.

J’ai été victime d’inceste. Il faut beaucoup de temps pour avoir la
force de dire et d’affronter son histoire, mais cela est nécessaire pour
se reconstruire.
Je porte ma vérité, et personne ne pourra nier ce chemin parcouru
pour rassembler le puzzle de ma mémoire et de mon identité retrouvée .
La vérité ne sera toujours que la vérité .
Merci de m’avoir lue.

Corinne B