Avoir honte de vivre quand on a subi un acte aussi répugnant. Avoir honte de ne pas avoir résisté, de ne pas avoir dit non, de ne pas avoir su quoi faire au bon moment.

Quand j’avais 11 ans, mon père m’a embrassé sur la bouche. Il s’était mis sur moi, disait qu’il voulait embrasser mes paupières, puis il a atteint mes lèvres. Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait et ce que je devais faire, mais je savais que c’était très mal, que ce n’était pas normal et que je ne devais pas l’accepter. Je voulais me dégager au plus vite et partir, j’avais la nausée, c’était désagréable. Je me suis directement réfugiée dans ma chambre après ça, puis j’ai eu honte de ressentir une sorte d’excitation dont il fallait absolument que je me débarrasse, une excitation que je ne voulais pas. Mon père est entré dans ma chambre, m’a demandé si j’allais bien et m’a dit qu’il n’aurait pas dû faire ça. Son excuse était qu’il avait déjà vu une mère et sa fille faire ça et il a pensé qu’il pouvait le faire avec moi aussi. Je ne comprenais pas comment cette personne, que je ne reconnaissais plus comme mon père, pouvait avoir un raisonnement aussi bas, stupide, dégoûtant.

Je pensais que c’était oublié, jusqu’au jour de mes 12 ans. J’aurais souhaité que cet anniversaire n’eût jamais lieu.

Ce jour-là, mon père était présent. Ça s’est passé au camping où ma famille a l’habitude de se rendre à toutes les vacances d’été. Le soir, j’ai dû dormir dans une tente avec mon père. Tout a recommencé. Il m’a embrassé de nouveau, plus longtemps, je le revois encore sur moi et je ressens encore sa respiration écœurante sur moi. Je serrais les dents, je voulais partir, je voulais crier mais aucun son ne sortait de ma bouche. Je me serais débattue, je l’aurais frappé, je me serais enfuie…

Ça recommençait, encore et encore, les baisers interdits, violents, qui étaient de plus en plus pressants, qui me détruisaient à l’intérieur. Chaque seconde était un coup de poignard dans l’ensemble de mon être. Puis venaient les attouchements, ses mains sur moi, sur ce qui m’appartenait, il l’a touché. Je ne pensais plus, je voulais juste partir de là.

Une fois le supplice terminé, il me parlait tandis que je lui tournais le dos et pleurais en silence. Je ne voulais plus l’entendre, surtout que ce qu’il me disait me faisait mal. Il m’avait demandé pourquoi je tremblais, pourquoi je pleurais. Je n’ai pas dit un mot.

Je voulais m’endormir au plus vite pour oublier et ne plus avoir à l’entendre. Je ne voulais pas le revoir à côté de moi le lendemain. J’avais l’impression de faire un cauchemar et que demain tout irait mieux.

Je me suis réveillée, j’ai fait comme si de rien n’était, ma famille ne se doutait de rien. J’avais honte de les regarder. Ils ne savaient rien sur mon père. Il m’avait chuchoté à l’oreille que “ça restait entre nous”. Ses mots m’écœuraient, je voulais lui faire du mal, autant qu’il m’en avait fait, je voulais qu’il souffre. Il n’avait pas le droit, je ne comprends toujours pas pourquoi tout ça est arrivé. Je me sentais sale, volée, détruite.

Au fil des années après ces évènements, j’ai développé un sentiment de rage en moi parce que je ne me suis pas débattue. Contre lui, contre moi. Aussi, je ne pouvais pas me défaire de ce sentiment de dégoût, d’incompréhension, de mal-être, de nausée… Les souvenirs revenaient, je ne pouvais m’en débarrasser. J’ai commencé à me faire du mal, puis je voulais mourir. A 13 ans, j’ai tenté de m’étrangler.

Ce que je sais c’est que je ne suis toujours pas guérie, et je me dis qu’en parler m’aidera peut être. Je n’en ai parlé qu’à une seule personne, à une amie que je me suis faite sur internet, mais que j’ai perdue de vue. Elle me soutenait dans cette épreuve. Autrement, je n’ai pas le courage d’en parler à quelqu’un dans la vraie vie.

Peut être qu’avoir eu mon premier copain m’a fait oublier, un court instant, cette douleur. J’ai réalisé que je pouvais être aimée, que je pouvais embrasser quelqu’un en le voulant, sans avoir à souffrir, que j’avais aussi le droit d’être heureuse, que l’on pouvait me traiter avec douceur. J’ai pu décider de ce que je voulais faire et pas faire. Mais la douleur est toujours là. Lui ne savait pas que l’on m’avait déjà volée...

Aujourd’hui, je ne parle pas beaucoup à mon père. Une distance s’est progressivement établie entre lui et moi. Je ne lui parle pas de moi, de ce que je fais, de ce que j’aime, malgré le fait que je vive encore chez lui. J’ai honte, j’aurais préféré ne pas être née plutôt que de vivre ça, et ça continue de me perturber, à 18 ans, malgré les années qui ont passé. Pardonner est une chose, mais je pense que tout ne mérite pas de l’être. Qu’importe les liens familiaux, pour moi, ces liens n’ont plus lieu d’être quand un parent fait subir une telle chose à son enfant.

S.K.